L'Union européenne et les Etats-Unis sont au coeur des crises actuelles. L'Asie a continué à croître gaillardement en 2009, pendant que les Etats-Unis et l'Union
européenne sont au bord du gouffre.
Sur l'Union européenne, les observateurs les plus inattentifs auront remarqué que l'euro est sous forte tension.Incidemment, Daniel Cohen faisait remarquer mardi matin que la crise grecque, qui
touche toute la zone euro, avait été déclenchée par la BCE, qui avait averti qu'elle risquait de ne plus admettre de refinancer les titres de la dette grecque en cas de dégradation de la note du
pays, plaçant ainsi la Grèce dans la main des spéculateurs.
Pour les Etats-Unis, leur sort est à peine meilleur mais l'achat de la dette américaine par la Chine et, moins connu, directement par la Réserve fédérale, conduit à une apparence de situation plus
sereine. Niall Ferguson, spécialiste d'histoire financière internationale, dans le Financial Times de ce matin (A greek
crisis is coming to America) estime cependant que la crise ne tardera pas à s'étendre aux Etats-Unis. Les "fondamentaux" américains ne sont pas meilleurs que ceux de n'importe quel état
européen.
Dans le New York Times du même jour il est fait état d'un rapport d'un groupe d'experts sur le déclin de la
Silicon Valley.
Il y a des raisons économiques à ces situations. Mais on peut aussi considérer un point comment entre ces deux zones : ce sont deux états fédéraux qui ne fonctionnent pas.
Mais comment, s'écrieront les partisans de la construction européenne, l'Union européenne est si faible que l'on ne peut en aucun cas la comparer aux vénérables Etats-Unis !
Tout d'abord on notera qu'en matière économique, l'Union européenne a de nombreuses caractéristiques d'un état : une monnaie unique, une banque centrale, des règles budgétaires communes, etc... Un
état américain est plus libre de fixer sa TVA que ne l'est un état européen membre de l'Union.
Et pourtant, les partisans de la construction européenne expliqueront qu'il suffirait de donner plus de pouvoirs à l'Union européenne, d'atteindre enfin le graal fédéral, pour que tout s'arrange :
des transferts élevés de la part de Bruxelles feraient notamment de l'Union une zone monétaire optimale.
Nous ne serions donc qu'à une étape du bonheur fédéral.
Regardons plutôt l'exemple américain de plus près pour voir que nous sommes plutôt à quelques encablures de nous ensabler définitivement dans une prison fédérale inefficace.
On peut en effet se demander si ce n'est pas le propre des états fédéraux que d'être paralysés.
Deux articles récents ont attiré mon attention sur le caractère dramatique du blocage américain.
Le premier est de Paul Krugman, qui estimait lundi que l'Amérique n'est pas (encore) perdue.
Il comparait la situation américaine, où le Sénat bloque réforme après réforme, à celle de la Pologne des 17ème et 18ème siècles, où la régle d'unanimité conduisait la diète à la paralysie. Or, par
bien des aspects, c'est le fédéralisme des Etats-Unis qui impose un blocage au Sénat : ce sont des états qui sont représentés au Sénat, pas les électeurs. Chaque état a droit à deux sénateurs, quel
que soit son poids démographique. Le principe un homme, une voix ne joue pas.
C'est exactement la même situation au Parlement européen, où la voix d'un électeur de Malte pèse 13 fois celle d'un électeur allemand, et la situation est encore évidemment bien pire au sein du
Conseil européen, où les états disposent d'un quasi-droit de véto. On oublie qu'il existe depuis la création des Etats-Unis un très fort mouvement anti-fédéral, qui estime que la légitilité réside
dans les états, pas à Washington. Et l'on est frappé de voir à quel point les américains lorsqu'ils se rencontrent sont californiens tout autant qu'électeur des Etats-Unis d'Amérique. Le mouvement
des Tea-parties vient rappeler cette longue tradition.
La paralysie des institutions démocratiques qui résultent d'un tel système fédéral conduit à laisser le champ libre aux administrations. C'est le deuxième article dramatisant la situation
américaine, et il est signé cette fois-ci de Robert Reich (Our incredible shrinking democracy, 2 février
2010).
Reich est un économiste, il a été ministre du travail pour Clinton. Il écrit que faute de processus démocratique, le Congrès s'est défaussé sur la Réserve fédérale et sur le Trésor pour régler la
crise financière, avec les soupçons de copinage qui en résultent aujourd'hui. Sur le climat, le Congrès s'est déchargé de son rôle auprès de l'Environmental Protection Agency. La réforme du système
de santé, minime, a été gérée entre la Maison Blanche et les industriels de la santé - pharmaciens et assureurs.
Si l'Union européenne survit - ce que je ne souhaite pas -, nous allons tout droit vers le point de blocage où sont parvenus les Etats-Unis, alors même qu'ils disposent d'une langue commune et de
presque 250 années de fédéralisme. Les agences européennes imposeront leurs lois à des élus fantoches, sélectionnés pour leur capacité à faire croire à leur utilité.
La crise de l'euro et de la Grèce met les partisans de l'Europe au bord du bonheur : enfin une occasion de faire un pas de plus vers le fédéralisme ! Enfin un gouvernement économique ! Encore moins
de pouvoirs et de voix aux populations ! La raison fédérale va triompher des passions populaires et locales !
Parce que cependant le consentement populaire n'existe pas en Europe, encore moins qu'aux Etats-Unis où il est moins unanime que ce que l'on pourrait croire, il faut en finir définitivement avec
les projets d'Europe fédérale. Ils ne nous mèneront qu'à la paralysie et au chaos. Espérons que la présidentielle de 2012 soit l'occasion de ce débat vital.