Ca faisait des mois que ça me démangeait, et que j'avais envie de pondre un billet sur le sujet. Mais ce n'était jamais le bon moment pour en causer sur le blog, mais là j'en peux plus, faut que vous raconte, ça peut plus attendre.
Voilà. Y a un truc qu'on entend dans la bouche de pas mal d'intervenants pros et politiciens dans le petit French world of adoption. Une expression bien péteuse, et que l'on marie à toutes les sauces dans les contextes les plus débiles, et qui fait office de parfait bouche trou.... La béchamel de l'adoption, en quelque sorte...
Quoi, quoi ?
Mais si, bien-sûr que vous la connaissez. C'est une formule magique, sans doute inventée par un obscur sorcier du Moyen-âge, pour un roi en manque d'imagination verbale qui souhaitait attendrire la populace avec sa tendresse affichée pour la protection des pauvres norphelins.
Cette expression est la suivante :
"Dans l'intérêt supérieur de l'enfant".
Aaaaaaah.... Avouez qu'elle en jette cette expression, hein ? Surtout de mot, "suuuupérieur". Pasque pour sûr que l'intérêt inférieur de l'enfant ne nous évoque pas grand'chose. Quoique, ptête que ça parle du PQ et des lingettes en cas d'épidémie de gastro aïgue tel qu'il y a en ce moment dans nos chaumière française ???
Avouez que vous l'avez entendue souvent cette belle formule, hein... En version soufflée, meringuée, en pièce montée, à la broche, en sushis....
Normal, c'est une formule magique, alors on l'utilise à toutes les sauces depuis la nuit des temps. Chuis même certaine que c'est Merlin qui l'a inventé lui-même, tant elle est magique. Commencez une phrase avec elle, et derrière vous pouvez placer n'importe quoi. "Dans l'intérêt supérieur de l'enfant ... il vaut mieux piétiner les parents adoptants ou les lapider avec des silex pointus, les jeter comme des vulgaires kleenex pour en prendre un autre moins rempli de morve.... Pasque vous comprenez l'intérêt supérieur de l'enfant". Et le peuple docile, subjugué par cette formule magique acceptera sans broncher et acquiescera docilement.
Aussi, si par hasard vous faites une conf' bien vaseuse et générale sur l'adoption remplie de banalités "pé-chos" dans un livre en bout de gondole à la Fnac, que vous séchez pour faire une conclu détonante qui réveillera vos auditeurs endormis depuis la troisième phrase de votre discours, abraaaaaaaacadaabraaaaaaaaa, terminez votre speech par la formule magique, et presto vous avez une conclu qui en jette et vous pourrez sortir la tête haute !
Mais franchement, réfléchissons bien, l'intérêt supérieur de l'enfant, comme ils disent tout ces grands orateurs, n'est ce pas une évidence depuis la préhistoire ? Ne disait on pas "les enfants et les femmes d'abord" sur le Titanic en train de couler (ok elle est naze ma référence mais j'en trouve aucune autre pour l'instant !) ? Pour moi, intervenante terrain, qui tombe amoureuse de tout les yeux noirs que je croise dans les orpheux, qui avec le reste de notre équipe me bats comme une dératée pour leur trouver une famille, qui n'en dort pas toujours la nuit, qui verse des larmes comme en cette fin d'année 2009, c'est le genre de formule qui me fait rire aux éclats tant elle me paraît triviale et évidente. Est-il nécessaire de préciser une évidence pareille ?
Sans doute oui, pour les incultes et idiots ignares en matière d'adoption qui traînent sur Agoravox. Menfin pour une populace un peu avertie sur le thème de l'adoption ça me parait être un pléonasme plus qu'autre chose... Tout comme la fameuse "une famille pour un enfant et non un enfant pour une famille", la soeur jumelle de LISDLE, ça me fait soupirer devant tant d'asbeenité à force de l'entendre années après année..... Ouaih, franchement, il serait temps de relancer Merlin pour trouver une autre formule magique plus tendance, pasque franchement, celles -là, je sature...
Et puis, qui aurait une priorité autre que celle de "l'intérêt des enfants ?" Les parents postulants à l'adoption ? Ces parents sont dévorés par leur envie de paternité, alors normal qu'ils se battent pour le devenir. Mais ce ne sont pas non plus (en grande majorité !) des neuneus prêts à arracher des fraîchement orphelins de gravats haïtiens pour devenir parents, faut arrêter le délire.... Arrêtons de leur jeter la pierre sans cesse...
Ne pas respecter les parents adoptants, c'est un peu ne pas respecter les enfants. Ce sont eux qui seront le nid de demain de nos orphelins. Les faire souffrir en les traitant comme des pions c'est un peu comme si on faisait souffrir leurs enfants adoptés, comme si on attaquait les fondations des maisons qui abriteront plus tard ces enfants. D'ailleurs, où est-il, leur intérêt, lorsqu'on traite ces familles en souffrance avec des méthodes inhumaines ou dévalorisantes ? On en rajoute, à une souffrance qu'ils ont déjà dans leur bagage depuis de longs mois et années, si on inclue dans le "parcours" de la stérilité que l'on retrouve chez de nombreux postulants à l'adoption.
Je suis atterrée par le manque d'humanité de nombreux intervenants dans l'adoption face aux postulants qui font ce qu'ils peuvent. Candide au début de notre aventure d'adoption, je pensais que tout le monde était gentil comme Hello Kitty dans Adoption World. Mais j'ai vite déchantée, même en tant que postulante. Je ne pensais pas que l'adoption, qui représente pour moi un des plus beaux gestes d'amour qui existe, puisse engendrer autant de mépris, d'inhumanité, de manque de respect... Alors, lorsque j'ai des postulants devant moi, je pense sans cesse à moi l'ancienne postulante, et j'essaye de traiter les gens avec le même respect que j'espérais avoir lorsque moi même j'attendais mes enfants. Ce qui ne peut empêcher certains de mes coups de gueule, mais j'essaye de rester dans l'humain...
Bref, comme je vous le disais au début de ce billet, cette formule magique hyper pratique permet de passer bien des suppos douloureux. Récemment, j'ai entendu la suivante dite par un professionnel français de l'adoption qui m'a scotchée : "Dans l'intérêt supérieur de l'enfant, il vaut mieux que cet enfant de 8 ans ne soit pas adopté."
Ah. Bin v'la autre chose, fut ma première réaction. Quelle était la logique du raisonnement de l'interlocuteur ? Un enfant souffrant de troubles du comportement graves, trop "adulte" ou refusant l'idée d'une adoption ? Non pas du tout, son seul défaut est son âge aux yeux de cet intervenant, et voilà ce qui s'est dit : "l'enfant est grand et le process d'adoption pourrait être long, il arriverait sans doute trop vieux dans sa famille adoptive française".
Traduisez en langage cru : l'adoption d'un enfant "grand" faut pas faire.
Donc si je suis ce raisonnement jusqu'au bout en prenant comme exemple mes adoptions indiennes réputées plus longues que bien des pays de l'AI (en moyenne 6 mois une fois dossier définitif remis à l'orpheu, 12 mois souvent, 18 exceptionnellement), dans son intérêt supérieur vaut mieux qu'il ne connaisse plus jamais les joies et l'amour de la vie de famille. Et aussi que d'ici deux ans maxi, il soit transféré dans un government hostal où règnent le loi des gangs, la violence à cause du manque de personnel, où les enfants reçoivent peu de soins ou d'éducation. Et puis une fois adulte, s'il est un homme, il aura un métier gagne misère, et ne trouvera jamais femme car il n'a ni famille, ni caste. Et si c'est une fille, elle sera mariée à un inconnu, sera à la merci de sa belle-mère avec qui elle vivra, car aucune famille ne sera là pour protéger ses intérêts. Pire elle pourrait servir de poupée gonflable live aux hommes d'un village reculé du Nord (de L'Inde...) ou bien atterrir dans un bordel de Mumbai...
Dans l'intérêt supérieur de cet enfant, of course.
Heureusement ce n'est pas le cas de tout les enfants grands non adoptés en Inde. Certains orpheux font ce qu'ils peuvent pour donner une bonne éducation à leurs grands, essayent de leur faire faire de bons mariages. Mais cela reste une minorité.