Le buzz grimpe gentiment dans la blogosphère, ici ou là par exemple, et au-delà, au sujet de la nouvelle mouture de la LOPPSI dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne fait pas dans la dentelle. Comme on s’en souvient, les péripéties hadopesques avaient abouti, peu ou prou, à une loi bâtarde, génétiquement très instable, aux développements débiles. Sa grande sœur, Loppsi, est en revanche sévèrement burnée pour faire peur…
Il suffit d’ailleurs de quelques minutes de lecture pour constater qu’encore une fois, les socialistes de droite nous ont préparé un véritable feu d’artifice d’alter-légalisme. En découvrant les principaux points du Projet de Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure, on trouve à nouveau tous les bons vieux trucs & astuces d’un gouvernement en pleine législorrhée carabinée qui fait des traces grasses un peu partout.
Au passage, outre l’acronyme, LOPPSI, qui nage dans un océan de ridicule babillant tant il ressemble aux petits cris joyeux d’un joufflu bambin découvrant une nouvelle peluche, on pourra noter qu’un projet de loi avec un nom aussi long portant sur un sujet aussi ardu ne peut être qu’un abominable camouflage pour une lamentable opération commando. C’est exactement comme les noms sirupeux à la Pôle Emploi, Ministère des Aînés ou autres Personnes À Mobilité Réduite : on travestit une réalité pénible ou jugée délicate par une épaisse couche de novlangue, un sibyllin pavage auto-bloquant de bonnes-intentions cachant un enfer de petits détails laborieux et d’emmerdements prodigieux. Car à bien y réfléchir, rechercher la Performance dans la Sécurité Intérieure, c’est s’exposer à placer des exigences en matière de surveillance à des niveaux jamais tentés jusqu’alors, d’autant plus que les moyens technologiques ne manquent plus. Si tabasser une grand-mère dans l’angle-mort des caméras sera toujours aussi peu enquêté et puni, faire un prout hypocrite va coûter cher en facture carbone, soyons en sûrs…
Quant aux mesures proposées, elles se bousculent presque toutes au portillon du n’importe quoi en réclamant bruyamment des moyens, des sous et de l’attention médiatique. On trouve ainsi :
a/ des mesures répondant à l’urgence médiatique de frétiller du Dalloz avant que la chaleur des événements ne retombe :
- le couvre-feu pour les mineurs : parce que cacher un problème, c’est souvent plus simple que de le résoudre.
- aggravation des peines pour les actes contre des personnes vulnérables : rien de tel que refaire en criant ce qui existe déjà. Le résultat est connu et la prise de risque est nulle (et l’inverse est vrai aussi : le résultat est nul et la prise de risque est connue).
- création d’un délit de distribution d’argent sur la voie publique : la charité et la prodigalité sont maintenant officiellement interdits. Normal : cela empiétait sur les plates-bandes réservées de l’État et il n’aime jamais la concurrence.
b/ des mesures de « fond » (comme dans l’expression « on touche le fond »), que tout citoyen attendait avec fébrilité :
- la création d’un délit d’usurpation d’identité sur internet. Enfin, Kevin pourra respirer : plus personne ne lui piquera son pseudo kevindu93 sur Skyblog. Tous les petits darkvador et autre HaX0R ont du souci à se faire. Tremblez, geeks de m3rd3.
- interdiction des sites pédo-pornographiques. Parce qu’avant, c’était interdit, mais maintenant, ça va être plus interdit encore. Avant, c’était mal, comme le laissait subtilement supposer l’article 227-23 du code pénal avec ses 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Maintenant, ce sera super-mal. Et les hébergeurs devront couper les sites susceptibles d’héberger des images pédophiles (ou qui parlent de chaussettes, aussi – je vous raconterai ça un jour).
c/ des mesures internes, visant essentiellement à ouvrir, à terme, des autoroutes d’informations croustillantes aux services de la Police Fiscale, de la Police de la Pensée et de la Police de la Culture Citoyenne. Évidemment, ce n’est pas présenté ainsi, mais l’idée de multiplier les fichiers divers et variés n’a jamais constitué la base solide d’une plus grande liberté d’action, de pensée ou d’expression dans quelque pays que ce soit…
d/ des panoplies d’interdictions et d’obligations diverses, véritable fourre-tout législatif où, dans une liste à la Prévert, on trouve aussi bien de la sécurité routière dont la visée financière est limpide, des bidouilles sur-mesure pour les hooligans (pas syndiqués, bien sûr), et d’étranges notules à visées spécifiques, comme celui obligeant les sociétés d’intelligence économique à demander une autorisation au préfet pour exercer – on imagine, pour cette dernière proposition, la masse conséquente de citoyens qui réclamaient à cors et à cris cet aménagement depuis longtemps, tant le sujet est à la fois chaud, d’actualité et débattu régulièrement (comment ça, non ?).
Mais le pompon, bien sûr, c’est la création, déjà actée, d’un véritable Ministère de l’Œil de Caïn (« la sécurité au service de la liberté », ah ah ah, quel toupet !), dont le but ultime est le maillage complet, parfait et étanche du territoire par des caméras de surveillance permettant à chacun de surveiller chacun, dans un remake de la Vie des Autres avec autant de veuleries, mais, heureusement, plus de Bordeaux A.O.C. ou de Champagne millésimé (on n’est pas en Allemagne de l’Est, hein, sachons vivre).
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Bref : comme on s’en serait douté, le but de la loi est bel et bien d’asseoir un peu plus le Tout Sécuritaire là où, mine de rien, les lois existantes suffisaient largement à ceci près qu’elles ne sont pas utilisées ou tout simplement pas appliquées.
Encore une fois, le gouvernement confond Action et Législation en pensant que faire gigoter des députés en Assemblée pour parvenir à se mettre d’accord sur un texte de loi permettra concrètement d’arrêter des pédophiles, de museler les néo-nazis qui s’expriment sur des sites vilains pas bô (dont la liste officielle, estampillée MRAP, est disponible ici), ou de calmer des supporters violents.
Comme disait, déjà, Cicéron, « Corruptissima respublica, plurima leges » : plus l’État se décompose, plus les lois pullulent. Avec une telle quantité de lois votées dernièrement, on peut frémir. Pour ma part, je me contenterai de « Ce Pays Est Foutu ».