« Bientôt, un homme ou plutôt un arbre s’avance et contourne la caisse. Derrière un trou percé dans l’écorce, on distingue un visage, tandis que les bras mobiles sortent du tronc. (…) L’arbre de secoue, des feuilles tombent de ses branches, ce sont des feuilles encore vertes, des cartes d’identité de plusieurs pays, des cartes de toutes les couleurs, des passeports, des papiers administratifs et quelques pages d’un livre écrit dans une langue inconnue. De ces pages des milliers de syllabes sortent soudain, volent en direction des yeux des agents et finissent par les aveugler. Puis les lettres forment ensemble une banderole sur laquelle on peut lire « La liberté est notre métier ».
« - (…) Alors dites-moi qui se cache derrière cet accoutrement.
- Il se fait appeler Moha, mais avec lui rien n’est sûr. C’est l’immigré anonyme ! Cet homme est celui que j’ai été, celui qu’a été ton père, celui que sera ton fils, celui qui fut aussi, il y a bien longtemps, le Prophète Mohammed, nous sommes tous appelés à partir de chez nous, nous entendons tous l’appel du large, l’appel des profondeurs, les voix de l’étranger qui nous habite, le besoin de quitter la terre natale, parce que souvent, elle n’est pas assez riche, assez aimante, assez généreuse pour nous garder auprès d’elle. Alors partons, voguons sur les mers jusqu’à l’extinction de la plus petite lumière que porte l’âme d’un être, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, qu’il soit un homme de Bien ou un être égaré possédé par le Mal, nous suivrons cette ultime lumière, si mince, si fine soit-elle, peut-être que d’elle jaillira la beauté du monde, celle qui mettra fin à la douleur du monde. »
Le livre, "Partir" de Tahar BEN JELLOUN, s’arrête sur ces mots, ils reprennent l’intensité du livre. Il s’agit d’exil, d’émigration, de nostalgie du pays natal, d’utopie, de descente aux enfers. Nous suivons le destin croisé de personnes qui n’ont qu’une idée en tête partir (cette fois pour l'Espagne), fuir le Maroc, pays aimé mais pas assez généreux avec sa jeunesse, trop dépendant de la mafia. Le passage à l’acte et ses improbables retours sont disséqués par l’auteur. Le livre n’est pas optimiste mais il décrit si bien des instants de vie : les éternités d’attente, le regard fiévreux, obnubilé par la côte espagnole, des habitués du café, « observatoire des rêves et de leurs conséquences » ; les désillusions de l’arrivée en terre providentielle (et du paradoxe historique de celle-qui nous appelle : il fut un temps où le Maroc attirait, après il a fait fuir ) ; cette illégalité permanente, de papiers, de vie, cette culpabilité profonde…
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Je n’aime pas les vacances « normées » au soleil avec un passage touristique dans telles ou telles villes, j’aime l’authenticité même si, peu naïve, je sais ne la retrouver que peu où je vais. En tous cas, Tahar BEN JELLOUN m’a donné envie de venir dans son pays et même si dans ce roman il n’estime proposer que des indices d’une situation, j’y vois un début d’analyse sociologique et c’est pourquoi ce livre me suivra pas à pas dans mon chemin vers la tolérance. C’est de cette fuite en avant vers le paradis en fuyant ses racines ou l’autre dont il est question et ce livre donne envie de reprendre ces notions de racisme, de tolérance et redéfinit l’utopie du pays « développé », avant de partir découvrir le Maroc d’aujourd’hui et lire dans les yeux de sa jeunesse une autre fin !
« On ne revient jamais pour soi, toujours pour les autres.» Et pour vous faire une idée par vous-même un très beau lien avec des extraits du livre, l’ambiance et une interview de l’auteur ici et vous pouvez lire l’avis de In cold blog là .