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Le Centrisme : jadis et aujourd’hui. Etude de cas : l’Alsace, dite terre de Centrisme

Publié le 10 février 2010 par Arnaud Lehmann

Article d'Antoine SPOHR, paru sur Agoravox :

Le Centrisme : jadis et aujourd’hui. Etude de cas : l’Alsace, dite terre de Centrisme

Mouvement ou parti politique ; philosophie politique ; stratégie politique ou encore refuge des hésitations dans un système binaire insatisfaisant ? Des Constituants de la Plaine en 1789 à ceux qui s’en réclament aujourd’hui, que « sont le Centre et les centristes devenus » ?

Une enquête, à partir d’un questionnaire (pour Agoravox essentiellement) en Alsace, terre traditionnellement « centriste », permet au moins aujourd’hui d’en approcher une spécificité revendiquée, mais introuvable parce qu’indéfinissable clairement et trop diluée.

Une idéologie de rechange par négation des idéologies ?

On parle de la fin des idéologies. Soit. Mais cette proclamation, même répétée à l’unisson, ne suffit pas à la démontrer. D’ailleurs, bien étayé par une argumentation réfléchie et sérieuse, ce constat n’en suggère-t-il pas une autre qui ne dit plus son nom pour ne pas être discréditée comme les précédentes ? François Bayrou aime à parler et à se réclamer de l’Humanisme dans sa vision de tripartition, entre Gauche socialiste et Droite capitaliste. De quoi s’agirait-il que méconnaitraient ou mépriseraient les autres ?

Plus fort, Jean-François Kahn, que ne rebute aucune attitude politique originale et élu en réalité député européen MoDem dans le Grand Est, a osé l’expression circonstancielle de « Centrisme révolutionnaire ». Mazette ! On le sait un tant soit peu historien et cette formule à l’emporte-pièce a dû lui être vraisemblablement suggérée par ce que certains historiens ont vu apparaître - a posteriori - sous la Constituante (de 1789), comme étant le Centre dans l’attitude de la Plaine (plus tard le Marais par dérision), composé de Constitutionnalistes, enserré entre les Monarchistes grand teint d’un côté et les Révolutionnaires-patriotes (les Montagnards), tout aussi radicaux, de l’autre.

Mais il s’agissait alors d’un positionnement vertical, à Versailles ou plus tard dans la salle du manège des Écuries aux Tuileries.  Enfin, lorsque l’Assemblée disposera d’un hémicycle, on distinguera le placement horizontal de gauche à droite et… au centre.

Aujourd’hui notre JFK estime peut-être que ne pas vouloir la révolution ni même la rupture, est en soi devenu révolutionnaire sous forme d’un conservatisme relooké fashion ! Allez savoir !

Dès le XIX° siècle, le Centre est entré dans un mouvement oscillatoire entre royalistes – orléanistes, libéraux et républicains, anti-bonapartistes, mais toujours modérés, sauf dans le cas de l’anti-socialisme, bien sûr. Une position souvent inconfortable, surtout pour les chrétiens qui, avec l’Eglise catholique, en constituent le gros des troupes.

Libératoire enfin, c’est l’encyclique « Rerum Novarum » du pape Léon XIII, en 1891, qui fonde en quelque sorte officiellement la doctrine sociale de l’Eglise. Un an plus tard, le même pape, dans une nouvelle encyclique, invite les chrétiens à rallier la République. La « gueuse » n’est plus proscrite et dès lors peuvent naître des partis démocrates- chrétiens qui ne cesseront, jusqu’à nos jours, avec plus ou moins de bonheur et de bonne foi, d’alimenter copieusement le Centre, l’action sociale déjà ancienne se confondant peu à peu avec l’action politique.

Après la guerre, les plus connus de ces mouvements ou partis (MRP, CDS, UDF et Force Démocrate et enfin le MoDem, Nouveau Centre et autres) se succèderont avec une influence souvent marquante, parfois accédant même au pouvoir suprême (Giscard d’Estaing) ou au partage des responsabilités gouvernementales, grâce à des alliances, le plus souvent avec la droite ou par des participations sporadiques avec la gauche. Des noms prestigieux comme ceux de Robert Schuman, Bidault, Teitgen, Lecanuet et bien d’autres comme Pierre Pflimlin, auquel succédera De Gaulle, inclassable, comme dernier Président du Conseil de la IV° République, sont encore des références pour les héritiers qui demeurent fièrement « centristes ».

Sur quoi se fonde cette fierté ? Unanimement, ce sont « les valeurs ». Parmi celles-ci l’ Humanisme est inlassablement ressassé, comme une boîte à outils qui contiendrait toutes les autres,quasiment une idéologie. Pour ceux en qui dorment encore quelques sédiments d’Histoire, il s’agissait d’un mouvement philosophique qui, à la Renaissance, tendit, à terme, à refuser la détermination ( exclusive) de la destinée humaine par l’au-delà, habilement exploité par une Eglise omnipuissante et à donner à l’homme, pensant librement et conscient, sans forcément plonger dans l’athéisme, la maitrise de sa vie. Le protestantisme partiellement au moins et Le Siècle des Lumières en sont le prolongement.

Enorme raccourci bien sûr, de Pétrarque(1304-1374) infatigable découvreur de textes de l’Antiquité, à Erasme, humaniste chrétien reliant religion et liberté, foi et belles lettres. Ce n’est pas le lieu ici d’approfondir mais les marques originelles sont là même si la langue et les concepts qu’elle porte évoluent très vite.

Pour en découvrir la perception nouvelle, la prégnance ou encore les priorités, une enquête en Alsace en révèle la diversité.

Le centre ou les centristes ? Où ? Partout.

En première ligne donc, en Alsace, Yann Wehrling tête de liste du MoDem, parti se voulant centriste, a été adoubé par son seigneur suprême, tenace défenseur d’une orthodoxie quelque peu assouplie, puis confirmé par « la base » dans un vote que de nombreux militants ne tiennent pas pour juste ni sincère. Somme toute, cet ancien secrétaire général de Verts devrait apparaître comme le thuriféraire, mieux, même comme le procureur au réquisitoire intransigeant, d’un centre ( ni gauche, ni droite) rénové, rajeuni et davantage « écologisé ». Malheureusement pour lui et son mentor, la notoriété contestée parce qu’ancienne et oubliée, pas plus que l’empreinte verte affadie et désormais très largement répandue, ne suffisent à faire de cet homme jeune, sans conteste talentueux, sincère et agréable, un chef de file charismatique dans un contexte alsacien assez suspicieux et circonspect.

Répondant avec beaucoup de sérieux à nos questions, il sait affirmer ses positions. Pour lui, « le centrisme- sa liste s’intitule curieusement « Alsace Démocrate » sans référence directe au MoDem- est une offre politique nouvelle créée par des personnes proches de la démocratie chrétienne et des personnes qui refusent la bipolarisation de la vie politique » ; l’humanisme consiste « tout simplement à penser l’intérêt des hommes et des femmes avant tout autre chose », le tout bien entendu « sans sectarisme ». Pour autant Yann Wehrling n’oublie pas de faire résonner la corde europhile, dans une Alsace frontalière largement bilingue. En outre la décentralisation aurait des effets « si bénéfiques pour la démocratie »qu’il en appelle de ses vœux la poursuite.

Une spécialité Alsacienne.

Curieusement son rival le plus redoutable sur tous les aspects évoqués plus haut( hormis la bipolarisation) semble bien être Philippe Richert, le candidat UMP.

Un paradoxe ? Pas tant que çà, à la vérité, dans cette région.

Que d’atouts auprès des électeurs « centristes traditionnels » pour ce parlementaire, questeur du sénat, ancien président du Conseil Général donc expérimenté dans la gestion d’un exécutif territorial, issu de l’UDF, rallié à l’UMP avant la prise de pouvoir de Nicolas Sarkozy, comme de nombreux élus alsaciens de ce parti ! Ce candidat pour le coup assez charismatique apparaît donc fort naturellement comme le successeur du président Zeller décédé prématurément dont la mort a soulevé une sorte de consensus en Alsace comme pour Philippe Seguin dans tout le pays. « Les morts sont tous des braves types », chantait G.Brassens dans « Le temps passé ».

Philippe Richert, très pragmatique préférant le « faire » au dire ( il cite volontiers André Malraux) considère le centrisme plutôt comme un positionnement, une manière d’être, un comportement empreint des mêmes valeurs qu’il a gardées. Bilingue et dialectophone, professeur de biologie de formation ( cela lui a valu de nombreuses missions dans le domaine de l’écologie), cet élégant « aristocrate de terrain » a tout pour s’attirer les sympathies des nostalgiques d’une Alsace des Pflimlin, Rudloff et même Zeller. Dans son escarcelle, il ajoutera sans doute de nombreuses voix paléo-UDF à celles de son parti, d’autant plus qu’il compte sur sa liste des NC( Nouveau Centre) ce qui lui fait dire un brin amusé :« des centristes, il y en a partout ! ». Eh oui, on en trouve même sur la liste du PS de Jacques Bigot, président de la Communauté Urbaine. Et même en N°2, en la personne de la fille de Daniel Hoeffel, un des ténors du centrisme, ancien ministre de Raymond Barre et de Edouard Balladur, UDF emblématique rallié à l’UMP, aujourd’hui octogénaire retiré de la vie politique.

Sa fille lui a succédé à la mairie de Handschuheim où lui-même avait succédé à son père…Il faut préciser que le village de quelque 300 habitants n’est pas Neuilly ! Au Conseil Régional, « madame le maire ne sera en aucun cas obligée d’abandonner ses convictions centristes », lui accorde-t-on comme prix de ce que d’aucuns considèrent tout de même comme une trahison !

Dur, dur pour Yann Wehrling ! Et ce n’est pas tout ni le pire.

Le scenario « défection, éclatement, dispersion » comme partout.

Une autre liste, clairement intitulée « Alliance Centriste » en appelait un peu tardivement au retour au bercail de toutes ces brebis égarées dans la profusion des pâturages. Des sondages récents( 2%) semblaient montrer que le message avait peu d’effet malgré la présence de personnalités plus marquantes et connues comme le chef de file Bernard Stoessel, 1°vice-président du Conseil Régional, ex-second d’Adrien Zeller, 3° adjoint du maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel qui compte des candidats GM ( gauche moderne) sur la liste UMP. Confus ? Boudé par Bayrou qui tenait pourtant là une personnalité en place, il a démissionné de la présidence du MoDem haut-rhinois.

Et d’y aller avec férocité contre Philippe Richert qui, à ses yeux, lui a ravi sa place. « Nous partons pour gagner et non pas pour figurer ». N’étant pas parti ( on vient de l’apprendre ), il ne figurera même pas mais il abandonne ses ouailles au milieu du gué. D’autres personnalités, édiles locales comme le maire de Wissembourg (chef de file pour le Bas-Rhin) Christian Gliech ou Pierre Marmillod, conseiller général et maire de Pfaffenhoffen qui est à l’origine de cette démarche, auraient contribué à donner à cette liste la couleur de l’ancienne UDF qu’on disait parti de notables. On y trouvait d’anciens MoDem « défaillants » mais aussi des MoDem actifs hier encore, en rébellion contre Paris et ses décisions autocratiques dans l’irrespect total de la base qui a voté une motion de défiance à l’égard de l’équipe dirigeante en place. Sans aucun effet.

En dépit de la défection du mulhousien( c’est compliqué) dont certains voient la mort politique dans ce « lâchage », les colistiers dans leur majorité veulent poursuivre leur démarche « d’offre réellement centriste » avec plus ou moins d’enthousiasme. Pourquoi ? Histoire de personnes ?

Yann Wehrling fait figure de parachuté, tardivement encarté et propulsé par les instances nationales. Les « régionaux » comme Mme Kalinkova, ancienne maire-adjointe(UMP) de Fabienne Keller, Arnaud Weber, secrétaire général du MoDem 67( eh oui) et un jeune espoir comme Thomas Joerger, brillant produit d’Erasmus et d’autres comme Julien Viel par exemple, avaient abandonné le combat sous ses couleurs pour rejoindre les « dissidents ». Même en cas d’abandon, ils auront marqué leur désaccord avec la stratégie du MoDem.

En marge, l’instigateur de cette liste Pierre Marmillod qui ne cache pas ses ambitions sénatoriales, aura peut-être commis là un faux pas peut-être contre-productif car les grands électeurs parmi lesquels il a en déçu un grand nombre, ont la mémoire moins courte que les électeurs. Personnage avenant, cet élu encore jeune tient à tisser ses réseaux, opération très délicate en ces jours dans le contexte alsacien .Mais, qui sait ?

De surcroît, il manque tout un groupe de rebelles, derrière un « paléocentriste » débordant de fougue, Jacques Bon (aux affaires au bon vieux temps des Pflimlin et Rudloff), resté fidèle aux exigences originelles du MoDem. Lui et ses amis, en plein désarroi, parmi lesquels le jeune Arnaud Lehmann fait déjà figure d’expert vigilant, s’abstiennent de toute position qui compromettrait l’avenir du MoDem, avenir auquel ils croient encore, après restructuration bien sûr et « résilience ici et résipiscence à Paris » comme dit fort savamment Claude Cheviron.

De la plaine au marigot.

On voit qu’on est loin de cette bonne vieille Alsace, modérée, pas molle mais douce, tolérante, centriste presque par nature en raison de son histoire tourmentée.

Si, comme dans d’autres partis, les décisions jacobines prises par les instances nationales sont contestées, les questions de personnes sont devenues primordiales au détriment des programmes dont on ne parle quasiment pas. De plus, beaucoup d’électeurs qui avaient choisi François Bayrou au premier tour des présidentielles, ne tiennent pas à constituer une écurie présidentielle pour un candidat dont ils ont de plus en plus de mal à comprendre le comportement et les positions jugées souvent outrancières.

Pour le moins, si tant est qu’il faille une troisième voie pour un rééquilibrage de la vie politique française, ce n’est pas dans le centrisme tel qu’il vit actuellement qu’il faut la chercher. Dans le marigot chassent encore quelques crocodiles édentés sous le regard de grenouilles affolées qui coassent inutilement leur désir de « faire de la politique autrement ». Alors ? Ni gauche, ni droite, ni centre ? Quoi ?

Antoine Spohr.


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