Février, c’est le mois de la neige, des frimas, des grèves (comme tous les mois) et du rapport de la Cour des Comptes. Cette année, pas de surprise : même si l’institution n’a plus Séguin à sa tête, le contenu est aussi croustillant que d’habitude, et les oursins jetés de-ci, de-là, dans les pattes de l’Etat ou de ses entreprises diverses feront parler un peu d’eux.
Evidemment, compte-tenu de l’actualité, il était évident que l’un des points-phares du rapport serait la dette : cette dernière, gigantesque, n’est plus camouflable sous le tapis, et les préoccupations, qui revenaient régulièrement dans les productions étayées de la Cour sont maintenant plus prégnantes.
Mais cette année, le chat est sorti du sac : certes, l’état dépense beaucoup trop, comme d’habitude, mais l’augmentation babylonesque des déficits ne s’explique pas par l’excuse facile d’une criiiiise qui aurait, brutalement, plongé les comptes dans le rouge.
En fait, la Cour va beaucoup plus loin puisqu’elle affirme, tous calculs faits, que cette crise ne serait – au mieux ! – qu’à moitié responsable du trou constaté : « la croissance des dépenses publiques et les baisses d’impôt ont été excessives en 2009, sans tenir compte des mesures de relance ». Redit autrement, sur les 140 milliards de déficits constatés fin 2009, chiffre record s’il en est, 70 petits milliards seraient effectivement le résultat des tensions du marché et de la conjoncture économique. Ce qui veut dire que l’Etat aurait donc tout de même fait, dans une période favorable, 70 autres milliards de déficit.
Quand on sait qu’en 2008, le déficit était déjà de 49 milliards (youpi), ceci veut donc dire que le gouvernement, les différents ministères et la fonction publique en général ont donc claqué 21 milliards de plus. Si l’on note qu’en outre, et malgré les frénétiques bidouilles pour alléger à la marge les ponctions fiscales des uns ou des autres, les recettes n’ont, finalement, pas arrêté d’augmenter quand même, on en arrive à la triste conclusion que l’Etat dépense encore plus mal et beaucoup trop ce qu’il a taxé de travers ; même si la vénérable institution ne le dit pas comme ça, c’est la foire du slip : en Europe, « nous faisons partie des mauvais élèves de la classe » en matière de dette, constate Alain Pichon, le président de la Cour par intérim. Avec la Grèce ?
Cela dit, quel sera l’impact de ce rapport ?
Il y a fort à parier qu’à l’instar des années précédentes, les politiciens concernés prendront leur air grave, leurs sourires empruntés et leurs gestes posés. Certains prendront leur paire de lunettes dans les mains et, d’un geste rendu sûr par l’habitude, nettoieront l’un puis l’autre verre d’un petit chiffon en feutre doux marqué Afflelou tout en se raclant la gorge, et déclareront, d’une voix grave et sereine : « Le rapport est riche d’enseignement blablabla et nous sommes préoccupés par les problèmes soulevés weuzeu weuzeu nous tâcherons de nous concentrer l’année prochaine sur la réduction de ceci ou cela pipo pipo trilili et veuillez agréer l’expression de notre indifférence compassée blablabli blablabla« .
En effet, le réalisme pousse l’honnête homme à se rendre compte que tout ce que le rapport contient … n’est pas nouveau :
- gestion calamiteuse de l’A400M : non, sans blague ?
- efficacité douteuse des aides au logement : la bulle immo a gonflé pendant 10 ans. Il était temps de le noter.
- contrôleurs aériens, travailler nettement moins pour gagner nettement plus : les chiffres sont maintenant officiels, mais officieusement, tout ceci se savait.
- contrôles fiscaux partiaux, mal boutiqués et visant directement la rentabilité : je suis bouleversifié d’apprendre une telle chose, moi qui a toujours tenu la Police Fiscale en haute estime.
- la lutte contre les fraudes, diverses et variées, semble être fort mollassonne en France : bah tiens, sachant que les politiciens en sont les premiers bénéficiaires, directement pour eux-mêmes ou indirectement par les votes et connivences, on n’est pas trop étonné d’apprendre que l’État met la pédale douce sur le sujet.
Tiens, il y a aussi tout un épais chapitre sur les transports collectifs, SNCF et RATP en particulier : clients réguliers de la Cour des Comptes et de bien d’autres enquêtes qui, toutes, dénoncent le scandale permanent de la gestion calamiteuse de ces mastodontes baveux, il ne sera une surprise pour personne d’apprendre que les deux sociétés de transports de bestiaux à petite vitesse se font disséquer dans le rapport de cette année.
Sans même regarder le rapport de la Cour, quelques minutes de recherches dans les nouvelles fraîches permettent de dresser, de toute façon, un bilan désastreux des performances des deux grosses entreprises de transport collectif.
Pour les Parisiens, ainsi, c’est la galère tous les jours : incidents, accidents, retards, trains annulés, grèves, les jours se suivent et se ressemblent tous par la capacité du réseau francilien à systématiquement merder dans son contrat de base, transporter les gens du point A au point B, dans un temps raisonnablement prévisible. Evidemment, les tarifs s’adaptent à ce changement de qualité, … en augmentant.
Côté SNCF, on empile pannes sur grèves et grèves sur pannes : il faudrait être sourd, aveugle et coupé du monde pour ne pas savoir que la principale production de la SNCF est celle d’excuses pour les avaries, de vagues haussements d’épaules pour les incidents, de petites moues gênées pour les grèves et des froncements rapides de sourcils pour les annulations intempestives de convois divers et variés.
Outre les calculs d’apothicaires qu’on pourra mener pour connaître l’incidence sur les comptes publics de telles incuries, on pourra aussi noter que le coût social de cette foire permanente, beaucoup plus difficile à appréhender, n’est pas neutre : tout ceci finit – oh, comme c’est surprenant – par user l’usager, fatiguer le client, stresser les bestiaux trimballés.
Mais puisqu’on vous dit que sans le monopole, ce serait pire, voyons ! Puisqu’on vous serine que le privé ne ferait pas mieux et que hors du public, point de salut ! On sait bien que, de toute façon, si on privatise tout ce bordel, ce sera la catastrophe avec des gens qui crèvent de tous les côtés, des trains qui déraillent et la mort du petit cheval.
Ça n’empêche pas la Cour des Comptes de trouver dans le régime de base des salariés du privé certaines vertus, qu’elle estime applicable à l’opérateur national. On explique assez mal, d’ailleurs, l’augmentation constante des coûts des salariés de l’entreprise publique alors que la qualité du service rendu évolue de façon diamétralement opposée, et surtout la Cour note un écart de productivité du travail de 30% entre l’entreprise publique française et ses concurrents.
Mais comme je le notais plus haut, tout ceci n’empêchera pas le politicien de base de … ne rien faire.
Il faudra la rencontre inopinée, rapide et douloureuse de ces politiciens avec le concret, le dur, le solide de l’affreuse réalité méchante qui ne se pliera plus très longtemps à leurs tortillages postérieurs pour qu’enfin, trop tard mais sûrement, quelques mesures soient prises.
Or, dans la panique et la peur, on prend rarement les bonnes décisions.
Ce pays est foutu.