Membre fondateur, avec Daddy G et Mushroom, du groupe Massive Attack, Robert Del Naja aka 3D est aujourd'hui considéré comme un des inventeurs du trip-hop. Ceux qui, il y a peu encore, ignoraient son passé de peintre et plus précisément de graffeur n'ont aujourd'hui plus d'excuse, 3D signant lui-même la pochette du dernier opus du groupe, Heligoland, sorti avec grand bruit il y a quelques jours à peine. Sans être totalement dénuée d'intérêt, cette pochette aurait sans doute fort peu fait parler d'elle si le métro londonien n'avait pas eu l'idée d'en interdire la diffusion sous forme d'affiche publicitaire en son enceinte.
Le motif ? Visiblement réalisée au pochoir, cette pochette pourrait donner l'impression trompeuse, si elle était placardée sur les murs du métro, d'être un véritable stencil apposé là par quelque vandale. De là à considérer, selon la théorie de la vitre cassée popularisée par Rudolph Giuliani, que cette campagne publicitaire pourrait ainsi constituer une sorte d'incitation involontaire au graffiti il n'y avait donc qu'un pas, pas que dans sa grande sagesse la société de métro londonienne s'est empressé de franchir.
Dans une interview accordée au Daily Star le 8 février dernier, 3D s'émeut bien évidemment de cette censure. Il précise en outre que l'interdiction de cette affiche dans le métro pourrait être levée si le visuel était corrigé, à savoir s'il acceptait d'en donner une version exempte de coulures et de taches (“They want us to remove all drips and fuzz. It’s the most absurd censorship I’ve ever seen.”), gimmicks graphiques visiblement spécifiques au street art et que la société ne saurait donc tolérer et encore moins promouvoir d'une façon ou d'une autre.
Le Gainsbourg de Sfar, sans cigarette mais avec volutes de fumée
Pour édifiante qu'elle soit, cette histoire ne saurait toutefois étonner les français et encore moins les parisiens, habitués en ce domaine aux pires extravagances de la part de la société Metrobus qui gèrent les espaces publicitaires du métro de la capitale. A chaque nouvelle occasion Metrobus se plaît en effet à appliquer la loi Evin en faisant preuve d'une ouverture d'esprit digne d'un taliban afghan envisageant les différentes interprétations possibles de tel ou tel verset coranique. Dernièrement encore la société qui, par le passé, avait déjà fait des misères à Monsieur Hulot pour cause de fumage de pipe, refusait de diffuser en l'état l'affiche annonçant la sortie du film Gainsbourg, Vie héroïque. Cette interdiction étonna d'autant plus Joann Sfar, le réalisateur du film, et ses producteurs que ceux-ci avaient pris la précaution de ne pas faire figurer de cigarette sur la dite affiche... Sauf que voilà, les gars du métro de Paris ne sont pas plus cons que leurs collègues londoniens et quand ces derniers se montrent à même de conclure à l'existence d'une bombe de peinture en voyant une simple coulure de spray, leurs homologues français savent bien qu'il n'y a pas de fumée sans feu, ni à plus forte raison de Gainsbourg sans Gitane.
Bien évidemment devant pareils comportements on crie au scandale, à la criminalisation à outrance du graffiti et du tabac (selon les cas), à la censure et à la violation de la liberté d'expression. Loin de moi l'idée de ne pas joindre ma voix à ce choeur unanime. On me permettra toutefois peut-être de ne pas partager pleinement l'analyse dominante qui tend à voir dans ces deux cas la manifestation d'une censure d'autant plus insupportable qu'elle porterait sur des formes d'expressions qualifiées d'artistiques. D'abord parce que je ne suis pas de ceux qui considèrent la parole de l'artiste comme étant par essence plus sacrée que celle de l'individu lambda. Ensuite parce que dans les deux cas qui nous intéressent ici je ne vois nulle part de censure portant sur des productions artistiques mais simplement sur des publicités, sur de vulgaires réclames.
Le Gainsbourg de Sfar, sifflotant comme un con dans le métro parisien
En aucun cas la pochette peinte par 3D n'est en cause, c'est son usage à des fins de propagande commerciale qui l'est. De même personne à ma connaissance ne reproche à Sfar de faire fumer dans son film le comédien incarnant Gainsbourg. D'ailleurs si Sfar lui-même ne faisait pas le distingo entre création artistique d'une part et publicité d'autre part, sans doute n'aurait-il pas en fin de compte autorisé la diffusion d'affiches "corrigées", sans cigarette ni fumée, dans le métro parisien... Qu'il soit stupide de censurer 3D comme Sfar pour les raisons évoquées plus haut, c'est un fait. Que 3D et Sfar se voient ainsi contraints dans leur expression artistique, c'est un simple mensonge censé nous faire oublier que dans un cas comme dans l'autre ces deux artistes se conduisent ici comme de simples marchands de yaourts, plus empressés à nous faire consommer à toute force leurs productions qu'à nous offrir la possibilité de nous enrichir à leur contact.