Un réseau vert au secours de l’agglomération du Grand Nouméa ?

Publié le 10 février 2010 par Servefa

Impensable, tout simplement, pour un habitant du Grand Nouméa disposant d'une voiture personnelle, d'imaginer passer une journée sans l'utiliser. Cet état de fait, nous en avons déjà parlé il y a quelques mois sur ce blog, fait référence à ce que les chercheurs appellent la dépendance à l'automobile . Cet emprisonnement à un mode de déplacement a de nombreuses conséquences qui vont de l'exclusion sociale (récemment, il a été question du problème de mobilité des étudiants de l'Université de Nouvelle-Calédonie) à l'insécurité routière: le manque d'alternative à l'automobile conduit bien des gens à prendre leur voiture alors qu'ils ont bu (je dois bien avouer ici qu'il m'est arrivé quelques fois de conduire saoûl à Nouméa alors que cela ne m'est jamais venu à l'idée dans d'autres villes, ou pourtant, en l'absence de transports collectifs nocturnes, j'ai parfois marché deux heures pour revenir chez moi (mais je n'étais alors pas motorisé).

Impensable ? Pas tant que ça en fait. J'ai récemment reçu une analyse amusante d'une amie, Emeline, qui a fait l'expérience du cyclisme à but fonctionnel (pour aller travailler). En voici le détail.

"Vis ma vie de néo-cycliste dans le Grand Nouméa.

Trajet Robinson/La Coulée: 10 km, 10 m de dénivelé positif sans compter les nids-de-poule, 10min en voiture. Analyses sur le vif.

Points négatifs:

  • Au lieu des 10 min habituelles, j'en ai mis 40 min. Soit, ça dépend de moi et de ma condition physique, je vais m'améliorer.
  • L'incivilité des automobilistes et autres conducteurs de PL qui tendent à oublier que je risque de subir de plus graves dommages corporels qu'eux en cas de collision fortuite. De plus je ne saurais trop leur conseiller d'aller faire tester leur champ visuel. Peu semblent distinguer la piste cyclable. A leur décharge il n'y en a pas bcp en Calédo, peut-être ne savent-ils pas les reconnaître.
  • L'état des routes qui oblige les uns et les autres à faire des écarts impromptus autant qu'inopportuns.
  • Les gaz d'échappement des voitures poubelles, mais ça je m'en doutais.

Points positifs:

  • Une bande cyclable quasi tout du long!!!???!!! Et oui incroyable!
  • C'est bon de sentir l'air frais caresser son visage et d'être en pleine nature en allant au boulot.
  • Le seul sport que je ferai cette semaine et en plus, exutoire à mon trop plein d'énergie du moment .
  • Travail salvateur des cuisses et des fessiers après les fêtes de fin d'année.
  • Klaxon et interpellations en cascade: mieux qu'une agence matrimoniale. J'ai plus de chance de trouver un chéri sur la route que sur meetic.

CONCLUSION: Expérience à renouveler. Bon, en même temps on entre dans la saison des pluies... ça attendra l'hiver mais c'est dommage. C'était vraiment chouette... J'allais oublier, là je suis au boulot...il va falloir rentrer . Un autre point négatif un aller suppose un retour par le même biais.".

Cette amie me précisera par ailleurs la nécessité d'avoir une douche sur son lieu de travail.

Cette expérience, pour toute anodine qu'elle soit, n'a pas manqué de me faire réfléchir. Sur l'aspect pratique, tout d'abord, avec la question de privilégier une bande cyclable (sur la chaussée) à une piste cyclable (hors chaussée). Le choix d'une bande par rapport à une piste suit généralement une logique de coût (une piste doit être effectuée à part) et de sécurité (des courbes, adaptées aux réalités européennes, définissent les niveaux de trafics et les vitesses, pour lesquels une bande est empiriquement aussi sécuritaire qu'une piste). Par ailleurs, les défenseurs des bandes cyclables défendent aussi le partage de l'espace entre les modes, et la cohabitation des usagers, la ville étant un lieu de rencontres. Toutefois, il est difficile de parler d'environnement urbain à la Coulée et les bandes cyclables souffrent manifestement des défauts de chaussées et des comportements des automobilistes. Une réflexion sur les choix "piste/bande" à l'échelle de l'agglomération mériterait peut-être d'être posée.

Mais surtout, cela a conduit à me faire réfléchir sur l'aménagement du Grand Nouméa. En effet, 10 km, c'est la distance qui sépare Koutio du Centre de Nouméa, ou encore Dumbéa-sur-Mer de Vallée du Tir. 10 km à 20km/h de moyenne (ce qui est loin d'être inacessible) cela fait un temps de parcours de 30 minutes...quand les gens qui habitent ces zones restent parfois plus de 30 minutes dans les embouteillages (avec en plus 10 minutes de trajets/stationnement). Le cycle devient alors intéressant avec néanmoins trois bémols majeurs: la topographie, le climat (la chaleur, la saison des pluies) et les infrastructures.

La structure de la presqu'île la plus peuplée de l'agglomération m'a ainsi amené à imaginer un réseau vert qui pourrait présenter quelques arguments.

Le premier des arguments tient dans le relief quasi-nul que traverserait un tel réseau. Par ailleurs, on peut imaginer ce réseau séparé du réseau routier dans les zones les moins urbaines. Ainsi, à Koutio, il pourrait emprunter le parc de la piscine ou à Rivière Salée, partager l'emprise de la voie ferrée avec d'autres modes (comme un transport collectif ou des cycles), et par ailleurs, être séparé par de la chaussée par des bordures ou des balises (cf. ci-dessous la photo d'une piste à Portland). Ainsi, plutôt que d'inutiles et larges terre-plein centraux, on pourrait imaginer des terre-pleins latéraux avec des arbres destinés à faire de l'ombre voire à protéger les usagers de la pluie (cf. les photos ci-dessous).

Une piste ombragée à Portland, Oregon.

Encore de l'ombre, ici en Île de France.

Ces aménagements pourraient parfois prendre la place des stationnements, pléthoriques et spatiophages. Par ailleurs, ce réseau vert, polyvalent (partagé entre les différents modes), constituerait une respiration dans la minéralité d'une ville bitumée savemment orchestrée par quelques paysagistes qui y raconteraient des contes naturels faits d'arbres et de fleurs, l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, sa géologie, ses mangroves, ses peuples, son identité d'hier, d'aujourd'hui, de demain. Le tout pourrait ainsi constituer une attraction touristique pour des touristes en mal d'activité au sortir du paquebot. Mais surtout, ce réseau vert se poserait en colonne vertébrale des déplacements actifs dans le Grand Nouméa pour marier la fonctionnalité de la ville économique au plaisir de la flânerie, pour que la ville redevienne une expérience des sens dans toutes ses dimensions, y compris celle des mobilités. Parce que comme le dit Emeline, c'est "vraiment chouette".

François