Le Congo fait partie des pays les moins avancés. Miné par l’instabilité politique et économique qui y règne, le pays accuse d’un fort retard dans son développement et reste principalement focalisé sur le secteur primaire. Ses nombreuses richesses naturelles lui fournissent pourtant une arme de puissance latente. Certains éléments nous portent à croire que les organisations et les entreprises internationales profitent de cette situation à des fins économiques, et ce, par l’instrumentalisation de certifications environnementales internationales. La forêt s’étend sur environ 112 millions d’hectares du territoire congolais. Soit à peu près 60% de la superficie du pays. Sur cette étendue forestière, 40 millions d’hectares sont exploitables. Trois types d’exploitation se dégagent : les multinationales étrangères, les petites et moyennes entreprises et les activités illégales de pillage, contrebande et d’abattage sauvage. Ce dernier est difficilement chiffrable, la part des exportations illégales oscillerait entre 30 et 60%. Il existe une prédominance des grands groupes internationaux tels le Suisse Danzer Group via sa filiale SOFIRCO et ses concessions forestières IFO, ou bien le Danois DLH Group via la Congolaise Industrielle du Bois (CIB). Accumulées, les concessions forestières détenues par ces deux groupes s’élèvent à près de 4 millions d’hectares.
Depuis 1987, le phénomène de déforestation se lie progressivement à la problématique d’environnement et de développement durable. La Banque mondiale et d’autres organisations intergouvernementales, qui jouent un rôle majeur dans le financement de projets au Congo, multiplient progressivement les initiatives. Les dispositifs s’enchaînent à travers un nombre important de projets : le PAFT, le Forum des Nations unies sur les forêts, l’objectif 2000 de l’OIBT, la lutte contre l’exploitation illégale, la certification et à présent, la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD). Désormais, le pli semble pris, et l’on assiste à une mise en avant de la préservation de l’environnement à la fois lors de la planification de projets financés par les organisations internationales, mais également par les grands groupes d’exploitation étrangers eux-mêmes. En effet, plusieurs certifications ont fleuri depuis la fin des années 1990 : FSC, FCEP ou encore Keurhout. Au-delà d’un apparent engouement, y a-t-il un intérêt derrière la promotion des institutions intergouvernementales et la course aux certifications pour ces entreprises ? Cela paraît réaliste, lorsque l’on considère un ensemble de points qui tend à laisser entrevoir une recherche de conquête commerciale des ressources du pays.
Initialement contre la prise en compte du paramètre environnemental, la Banque mondiale a été sujet à de fortes critiques quant à la gestion de ses projets, notamment de la part d’ONG telles que Greenpeace. Ainsi nombre de projets ont été validés sans tenir compte du facteur environnemental, ni, pour le cas du Congo, des risques de financement des conflits armés par détournement des budgets alloués. C’est le cas des prêts dits « prêts d’urgence » offerts entre 2001 et 2005 dont les montants accumulés dépassent les 2,3 milliards de dollars et qui de par leur statut – pour une grande majorité – permet de déroger ou reporter la règle des évaluations sociales et environnementales complètes. L’exploitation forestière devient le vecteur de croissance et de stabilité politique souhaité par la les institutions intergouvernementales pour le développement du pays. Fait marquant : le Crédit pour le Redressement Economique (ERC1) accordé en juin 2002 par la Banque mondiale affectait 15 millions des 450 millions de dollars vers la réforme du secteur forestier sous condition de modification du Code Forestier. Il en résulte notamment que non seulement « les seules parties du cadre juridique qui ont été adoptées sont celles concernant l'octroi de concessions » mais en plus, le moratoire requis auprès du gouvernement de la RDC à l’époque a permis à nombre d’entreprises européennes, américaines et chinoises de récupérer des centaines de milliers d’hectares de forêt. Toujours selon Greenpeace, la branche financière de la Banque mondiale, le SFI, semble avoir investi 65 millions de dollars dans Olam en 2003/2004, suspecté en 2007 de chercher à accéder à d’autres titres d’exploitation via le rachat ou le partenariat avec des entreprises congolaises. Ce sont quelques exemples nous permettant de douter de la valeur du concept environnemental de la Banque mondiale et d’autres institutions intergouvernementales et d’émettre des hypothèses sur des intérêts foncièrement économiques. Il faut rappeler que le Congo reste aux crochets de ces institutions : selon le Club de Paris, les dettes officielles s’élèvent à plus de 2,7 milliards de dollars, ce qui la positionne dans la catégorie des PPTE (Pays Pauvres Très Endettés). Les puissances économiques peuvent ici exercer leur pouvoir sur un pays en situation de soumission, de par l’absence de structures saines et de par son endettement.
La certification FCS au sein des entreprises étrangères devient une généralité dans le secteur de l’exploitation forestière au Congo. Au total, près de 2 millions d’hectares ont été certifiés FSC et 2,5 millions sont en cours de certification. D’autres normes existent, FEPC, Keurthous, la normalisation ISO 14001 ; cependant FSC fait office de référence. Au-delà de la simple certification internationale, deux associations viennent épauler la démarche environnementale dans la région : l’Association Interafricaine des Industries Forestières (IFIA) qui participe activement aux rencontres internationales pour influencer et valoriser les intérêts des entreprises du secteur d’une part ; Africa Wood For Life, qui promeut le développement durable des exploitants membres et la connaissance de la démarche auprès des marchés consommateurs d’autre part.
Existe-t-il un enjeu caché derrière les certifications ? Le premier objectif implicite de cette double démarche pourrait être de valoriser la normalisation environnementale acquise et d’obtenir des avantages compétitifs par rapport aux entreprises locales, qui sont essentiellement des petites et moyennes structures financièrement incapables d’obtenir une certification internationale. Après la valorisation de leurs produits, vient ensuite la promotion de la certification FSC sur les marchés consommateurs pour contribuer au développement de la demande au détriment des filières classiques et illégales.
En définitive, cela permettrait à ces grands groupes de légitimer l’attribution de leurs titres d’exploitation lorsque celles-ci n’ont pas été légalement octroyées, donc de sécuriser leurs ressources en bois. Ces certifications pourraient également permettre de verrouiller les marchés consommateurs en limitant la demande sur les filières classiques des exploitants locaux. Finalement, la faillite potentielle des exploitants locaux permettrait de récupérer des concessions en profitant de l’instabilité politique et économique du pays et in fine garantir son approvisionnement en ressources.
La souveraineté du Congo sur ses ressources forestières semble être mise à mal par les acteurs institutionnels de la communauté internationale et notamment la Banque mondiale, son réseau d’associations et les entreprises étrangères. Sans pour autant parler de volonté de freiner la croissance du pays ni de protectionnisme vert, le cas présenté ici permet de voir comment les ressources d’un pays pauvre peuvent être discrètement accaparées et sécurisées en utilisant le concept de préservation de l’environnement et les certifications internationales, celles-là même qui sont créées par les pays développés et diffusées via les grandes entreprises.
Le débat sur les crédits carbone apporte une dimension économique supplémentaire, plus médiatisée. Une problématique peut ressortir au niveau de la marchandisation de ces forêts et les conséquences d’un asservissement des pays émergents et des pays pauvres. Par rapport à cette note de synthèse, la volonté impérialiste des pays développés présents au Congo sera potentiellement confirmée à travers les mesures concrètes obtenues durant la conférence de Copenhague qui aura lieu en décembre 2009.
Isabelle Le Guay