Coming out d'écriture

Publié le 09 février 2010 par Menear
Je n'ai jamais caché à personne que j'écrivais : alors mon titre est faux. Mais pas faux comme on croirait qu'il pourrait être : je détourne simplement les choses.

Au boulot tout le monde sait que j'écris : c'est à dire qu'ils ne savent rien. Je n'ai pas pris trente-six pseudonymes pour rien : j'ai toujours eu en tête l'idée de cloisonner les vies, les périodes : étant par exemple vendeur-éclair de librairie, il n'était pas question que je recommande un livre frappé de mon propre nom. Il en va de même pour les autres fragments de carrières que j'ai brièvement traversées, essayées, puis reposées.
Je travaille chez PdG depuis novembre : autrement dit je ne les connais pas, là-bas, je les côtoie, c'est tout. Ils n'ont peut-être pas à savoir ce qui s'écrit, ce qui se montre : je n'ai pas besoin d'une autocensure de plus entre les touches du clavier. Je ne les connais pas, d'accord : pas comme on pourrait penser, mais sept heures par jour je suis avec eux et sept heures par jour nous traversons des tempêtes ensemble. Tempêtes de bureaucratie pure, oui : mais tempêtes aussi.
Écrire, aussi, surtout, est prise de risque. En bloquant sciemment ce regard là je fais encore ce que je sais faire de mieux : je me retiens, je me protège. Contre quoi : ça je ne sais pas.
Là-bas on ne sait pas exactement ce que j'écris : lorsqu'on me demande, je résume simplement Coup de tête par « une histoire d'amputé cherchant sa main », mais je ne m'étends pas sur la question. Le laboratoire qu'est le blog, les fictions complémentaires et parallèles que j'éparpille : ça je n'en parle pas. Même 17h34 n'est officiellement qu'un « projet d'archives personnelles pour transformation de la vie privée en sanctuaire désespérant » : privé, lui aussi, de fenêtre sur cour, d'angle ouvert au public. Alors voilà comment on se construit soi-même sa propre petite coquille numérique : voilà comment moi je l'ai tracée, et voilà comment elle se développe.
Et maintenant, depuis Cyclososmia, depuis Publie.net, je serais une sorte d'auteur (je ne sais pas si j'ai le droit d'utiliser ce mot ?) : peut-être que c'est différent. Je pourrais ôter les verrous puisque j'écris, cette fois, sans italique : je prise de risque.
Il y a quelques mois coup de sang qui m'a conduit à supprimer d'un geste toutes les photos identifiables de mon compte Facebook et celles du blog : ne reste plus que les reflets incongrus quotidiens de mes 17h34 successifs. À la suite de cette pulsion frénétique, touche échap martelée, croisé F. pour une de nos trop rares conversations numériques qui m'avait dit : « tu me rappelles C. : son cauchemar est que l'on sache qu'il écrit ». Il est inutile de savoir ici qui est C. : moi-même, je ne suis plus très sûr de savoir, car je mélange maintenant les initiales amputées, ne retrouve plus toujours les corps auxquels ils correspondent. Peut-être que mon cauchemar est que l'on sache, non pas que j'écris, mais ce que j'écris : et peut-être que pour cette raison, sans italique encore, je prise le risque. Dois le prendre. Mais, comme à mon habitude, avec discrétion : discrétion méticuleuse : discrétion slash invisibilité.