L’argent est le nerf de la guerre et, plus largement, les objectifs d’une guerre ne peuvent être réalisés qu’avec des moyens parfois conséquents. La technologie militaire est coûteuse. Elle reste tellement coûteuse que de nombreux pays ou organisations n’ont plus les moyens de leurs objectifs en suivant le modèle d’armée permanente, dotée de matériel de la plus haute technologie possible. L’optimisation "guette" toutes ces organisations qui cherchent alors à mener une stratégie « low cost », c’est-à-dire éliminant toutes les capacités superflues dans la durée. Un éloge de la juste suffisance pourrait-on dire.
En 2008, selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), 1 465 milliards de dollars américains auraient été dépensés dans le domaine de la défense soit 2,4 % du PNB mondial. Ce chiffre est un minimum car beaucoup de dépenses de sécurité, privées ou publiques, peuvent contribuer à faire la guerre. De plus, les dix premières puissances en termes de dépenses militaires représentent environ 75% de la dépense totale (dont 40 % pour les seuls Etats-Unis). L’Afrique subsaharienne qui n’est pas la région du monde où l’on fait le moins la guerre, ne représente qu’environ 1%. Certains ont donc développé des stratégies « low cost » qui ont été mises en œuvre ces dernières décennies aux niveaux local, global et international.
Niveau local ou sub-étatique
La guerre est la « continuation de la politique par d’autres moyens » (Clausewitz), comme les moyens manquent parfois au niveau local, il faut trouver d’autres solutions. La solution la plus ancienne qui perdure dans de nombreuses régions du monde, pour les organisations sub-étatiques, est de faire porter les armes par les hommes en état de se battre et parfois par les femmes et les enfants.
Cette solution offre l’avantage de ne pas spécialiser une partie de la communauté pour le combat mais l’inconvénient de souvent limiter les tactiques et les techniques employables à des procédés simples et à réduire la formation au service d’armes utiles pour l’autodéfense ou la chasse. Les ressources pour faire la guerre demandent une accumulation de stock sauf lorsque l’ennemi dispose de ces ressources.
A l’extrême, vivre sur le pays conquis apparaît comme extra low cost. Cette limitation des moyens limite évidemment les objectifs politiques qui ne peuvent guère dépasser la survie ou la soumission d’une communauté voisine et peu puissante. Les zones d’Afghanistan non contrôlées par le gouvernement central illustrent cela comme l’avait illustré la manière de combattre de tribus Germaines au début de l’empire romain.
Ces limitations n’empêchent pas l’efficacité opérationnelle lorsque le conflit est une succession de combats limités ou quand une bataille décide de l’issue d’une campagne. En outre, le niveau des combattants augmente au fur et à mesure du temps car ceux qui ont survécu ont plus appris sur le champ de bataille que lors d’exercices militaires.
La bataille de Teutoburger Wald (destruction des légions Publius Quinctilius Varus – an 9) etcelle de Little Big Horn (destruction du 7ème régiment de cavalerie de Custer par les Sioux et les Cheyennes de Sitting Bull) sont des exemples pregnants. Au niveau local, en évitant d’entretenir des soldats, juste pour les périodes de combat, l’union fait indéniablement la force et en fait baisser le coût sur les communautés, en dehors des guerres prolongées. Le principe existe aux niveaux plus élevés.
Mondialiser et sous-traiter pour rogner les coûts
La mondialisation a des conséquences sur la manière de faire la guerre. Certains pays n’ont pas les moyens ou ne veulent pas entretenir des armées efficaces, avec du matériel performant et des militaires correctement formés. La tendance actuelle, lorsque de tels pays veulent faire la guerre, n’est plus seulement de s’allier avec une autre puissance, plus ou moins lointaine. Elle consiste à louer les services de mercenaires ou de sociétés militaires privées.
Cette solution s’avère souple et rapide pour former une armée ou combattre en première ligne. Il est parfois moins cher de louer des avions de chasse avec pilotes formés pour une offensive ponctuelle que d’entretenir pendant des années une armée. Le bombardement de Bouaké par 2 Su-25, pilotés par des slaves lors d’un vol vraisemblablement commandé par le gouvernement ivoirien, le 6 novembre 2004 montre tout de même que la baisse du coût politique etfinancier n’est qu’apparent au regard de la riposte française contre l’aviation étatique ivoirienne. La guerre des mercenaires, racontée par Polybe, qui a eu lieu à l'issue de la première guerre punique, montre qu'il faut se méfier de ce type de ressources lorsqu'elle n'est pas totalement maîtrisée.
La mondialisation a permis de développer les sociétés militaires privées qui permettent à des pays qui ont des armées conséquentes compléter leur capacité militaire à faible coût financier et politique. L’emploi par les Etats-Unis de la Military professional ressources Inc. pour former l’armée des musulmans de Bosnie, durant les années 90, a permis de contourner l’embargo international en toute discrétion et avec un coût politique presque nul.
De la même manière, l’opération Enduring freedom a vu le déploiement de nombreux contractors de Blackwater ou de la DynCorp International. Cela permet de déployer du personnel moins cher et correctement formé, qui n’est comptabilisé dans les bodycounts de l’armée. Par ailleurs, cela permet de recruter des non nationaux qui acceptent souvent des salaires moins élevés et dont le coût de formation n'est pas porté par l’Etat qui les utilise. Cette externalisation serait un gain financier.
Cependant, encore une fois, les deux batailles de Fallujah (2004), déclenchées à la suite de la pendaison de 4 contractors, montrent que le poids politique et militaire n’est pas nul. En somme, les Etats pauvres et riches vont chercher dans le monde entier des capacités militaires privées permettant de faire baisser les coûts. Ils vont également chercher ces capacités dans les autres armées.
La coopération internationale
Les Etats ont très tôt essayé de limiter le coût de leur sécurité. Pour cela, les associations politico-militaires visant à défendre ou à promouvoir des intérêts communs ont été développées.
La coalition est un groupement temporaire d’Etats pour bénéficier de moyens militaires et diplomatiques supérieurs. C’est une méthode ancienne et sûre, la plus ancienne selon Jean-François Guilhaudis (Relations internationales contemporaines). Elle permet de grouper ponctuellement les forces sans entretenir une alliance couteuse. Elle est par contre soumise à la confiance que les coalisés se portent.
L’alliance est plus formalisée que la coalition et plus durable. Elle permet de mutualiser, parfois de manière permanente, des capacités militaires tout en développant sa sécurité. C’est le vecteur de la sécurité coopérative ou collective d’Etats. L’OTAN permet à des armées nationales (la plupart des membres) de ne pas conserver toutes les capacités conventionnelles et de bénéficier du parapluie nucléaire américain. Grâce à l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, l’armée estonienne forte de 15 000 hommes est potentiellement « renforcée » par les 3 millions d’hommes des forces armées de l’OTAN en cas de conflit, ce qui lui permet de diminuer ses coûts de sécurité…
Un autre moyen de faire baisser les coût de la guerre, c’est d’utiliser des forces armées de pays pauvres dans des opérations multinationales, une optimisation de la ressource. L’ONU fournit un exemple édifiant en ce sens. A l’instar des délocalisations d’usines, il semble intéressant de faire confiance aux capacités de pays dans lesquels la main d’œuvre est moins chère. Les effectifs de l’ONU en opérations sont peu composés des pays qui contribuent le plus financièrement. Parmi les 5 premiers contributeurs financiers des opérations de maintien de la paix (7%), la France est le premier contributeur de troupes avec environ 1 600 hommes (1,6 % - 17ème rang – forces déployées principalement au Liban). A titre de comparaison l’Allemagne représente 300 hommes (0,3% et 44ème rang) pour une contribution financière d’environ 9%.
En effet, payer et placer des fonctionnaires internationaux au siège de l’ONU est plus « rentable » que d’envoyer des forces coûteuses sur le terrain en proportion (les remboursements de l’ONU ne couvrent pas tous les frais pour les armées des nations les plus riches). Historiquement, le "jaunissement" de la guerre d'Indochine, la "Vietnamisation" de la guerre du Viet Nam, le Surge en Irak et en Afghanistan relève aussi de ce mécanisme. Pour les pays les moins riches, l’ONU entretient financièrement une partie de leur armée déployée au sein de ses opérations.
En définitive, les Etats riches cherchent soit à baisser les coûts des opérations multinationales en ne participant qu’aux postes clés, soit à contribuer de manière très couteuse lorsque les enjeux et la technicité nécessaires sont importants. Les pays qui dépensent le moins pour leur défense cherchent à faire entretenir une partie de leur armée par d’autres.
Conclusion
Selon Gaston Bouthoul, « il y a peu de phénomènes sociaux qui soient aussi répandus que la guerre ». J’ajoute que la baisse des coûts de la guerre est une constante universelle lorsque les objectifs des opérations sont limités, c’est-à-dire que la survie de celui qui fait la guerre n’est pas en jeu. Le droit international pourrait même être considéré comme un facteur d’économie dans le domaine de la défense car il limite la portée d'éventuels conflits armés.
Pour autant, peut-on conclure que la guerre limitée est toujours low cost ? Sans doute, la réponse est souvent positive car l’entretien de forces pléthoriques et inutiles est évité par les Etats lorsqu’ils ne sont pas fondamentalement menacés. Les Etats-Unis ont bien synthétisé cette problématique dans leur Quadrennial defense review report 2010. Le deuxième objectif de leur défense est d’acquérir des armes qui soient utilisables, réellement nécessaires et de prix raisonnable et veiller à ce que l’argent des contribuables soit dépensé sagement et judicieusement
Sources :
- Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI)
- OTAN
- ONU. Maintien de la paix
- Jean-François Guilhaudis. Relations internationales contemporaines. LITEC. 2005.