Serge Daney
A deux jours de la Berlinale, le célèbre festival international de cinéma à Berlin, j’ai envie de vous parler d’un grand monsieur de la critique de film, Serge Daney.
Né en 1944 et mort – bien trop tôt – du Sida en 1992, Serge Daney avait débuté comme critique aux Cahiers du Cinéma dans les années 60 avant d’en devenir rédacteur en chef. C’est en 1981 qu’il rejoint le journal Libération où il décortique dans sa chronique mordante tous les aspects de l’image en mouvement : le film, le journal télévisé, la publicité, etc.
Réunies dans deux volumes en poche, édités par la Petite Bibliothèque des Cahiers du Cinéma, ces critiques merveilleuses prennent le nom de Ciné journal. Elles sont accompagnées d’une jolie préface de Deleuze, au style bien sûr un peu ampoulé – on ne changera pas l’ami Gilles.
A part les critiques très poétiques de Wim Wenders dans Emotion Pictures, je n’avais jamais lu un ton aussi spirituel et libre dans l’analyse de films pour le grand public. (Il y avait toutefois les hilarantes chroniques de François Forestier, Le nanar de la semaine, pour le Nouvel Observateur, dans la catégorie « série B »)
Serge Daney ne se contentait pas de dire amen ou beurk aux films tout juste sortis. Il partait, magnéto en main, rencontrer le cinéaste Satyajit Ray à Calcutta, pour une interview-fleuve qui finit par ressembler au scénario d’une très belle scène à la… Wenders, justement. Invité à un festival du film africain, Daney dresse un portrait « noir » de la situation misérable du cinéma subsaharien au lieu de faire l’éloge de la programmation présentée. Il rit, s’indigne, vante les qualités audiovisuelles de la pub pour le PQ Le Trèfle. Tout y passe : le match de tennis à la télé, analysé au même titre que Veronika Voss de Fassbinder.
Et pour vous faire plaisir, un extrait de la célèbre analyse de l’au-revoir télévisé de Giscard à la France en mai 1981, où vous pourrez savourer toute la verve du critique et sa fine intelligence.
Il y a des choses rares à la télé. Un président sortant se faisant filmer en train de sortir, c’est rare. Un plan vide à la télé, c’est rare. Un plan vide et silencieux, c’est encore plus rare. Il y a eu un grand moment mardi soir, un peu après 20 heures, entre l’instant où la grande silhouette giscardienne est sortie du cadre (par le bord gauche, en haut) et celui où retentirent les accents (pompiers) de la Marseillaise. Un moment de télé inattendu et réussi, nouveau et intéressant, dont Giscard fut l’auteur-interprète. Car il fallait être au moins Giscard pour imposer à la télé ce que la télé, de tout son être, refuse : le silence, le vide, le rien. Il fallait avoir le pouvoir d’un président sortant, l’avoir encore pour quelques secondes, pour tenter d’inventer sous les yeux ébahis de la France un rite. Un rite de disparition, rien de moins.
Des critiques comme Serge Daney, il n’y en a plus beaucoup aujourd’hui dans le monde du cinéma. Sont-ils terrorisés par l’étiquette de frustrés haineux qu’on leur colle souvent? Ou bien écrasés par les impératifs commerciaux d’un cinéma en pleine globalisation ? Pour l’édition 2010 de la Berlinale, le Berlinale Talent Campus organise justement une discussion sur l’état de la critique de cinéma le 17 février 2010 à 14h, au HAU 2. Toutes les infos ici.