Ferdinand Bouvier est un drôle de bonhomme. Enfin, pas si drôle que ça. Ancien héros de la première guerre mondiale, où il a sauvé au péril de sa vie des camarades tombés dans la boue des tranchées de Verdun, Douaumont, Les Eparges…il mène une vie d’enfer à sa femme Thérèse et à ses quatre enfants.
Ferdinand est un tyran domestique. Lorsqu’il rentre du travail, sa famille peut s’attendre à des cris, des sarcasmes, des remarques désobligeantes. Et chacun de tendre le dos quand, le soir venu, s’ouvre la porte d’entrée.
Aussi, c’est avec un certain soulagement qu’en ce jour d’avril 1944, les enfants de Ferdinand voient celui-ci se faire arrêter par la Gestapo. Qui aurait pu soupçonner que Ferdinand faisait du trafic de faux papiers d’identité ? Qui aurait pu soupçonner qu’au lendemain de cette arrestation, le plus jeune des fils de Ferdinand allait exprimer à haute voix ce que tous pensaient secrètement : « Enfin une journée tranquille. » ?
Ferdinand va être déporté à Mauthausen où il mourra quelques mois plus tard, en janvier 1945. De quoi au juste ? Personne ne le sait. De maladie ? D’épuisement ? D’une exécution sommaire ?
Bien des années plus tard, alors que Thérèse est morte depuis longtemps et que ses enfants sont devenus de vieilles personnes, la narratrice, qui a décidé d’écrire un roman sur Ferdinand, va rencontrer chacun d’eux pour tenter de percer le mystère qui plane sur la mort de ce pater familias tyrannique et aussi de retracer ses années de jeunesse afin de comprendre, peut-être, la personnalité de cet homme qui savait si bien se rendre insupportable envers ses proches.
Ferdinand était-il un personnage foncièrement méchant ou seulement un homme qui n’a pu trouver un sens à sa vie que lors des combats de la grande guerre ? D’ailleurs, quand a sonné l’armistice, le 11 novembre 1918, n’a-t-il pas décidé de continuer sa guerre en rempilant pour les Dardanelles, la Crimée, la Serbie, l’Albanie, puis la Syrie ? « Tout plutôt que de retrouver la vie civile et sa saveur écoeurante. D’ailleurs, il ne l’imagine même plus, tant elle s’est réduite dans sa mémoire à une peau de chagrin. »
Pourtant, tout à une fin et il faudra bien rentrer au pays, au début des années vingt quand les conflits cesseront. Ferdinand se mariera avec Thérèse. Puis il y aura les enfants, le travail quotidien au P.L.M et l’enfer domestique qu’il instaurera au sein de son propre foyer. Comment comprendre le comportement de cet homme qui fait régner la terreur chez lui mais qui, une fois à l’extérieur, au bistro avec ses amis, peut se révéler amusant, agréable et prêt à aider n’importe qui ?
C’est donc le portrait tout en contrastes de cet « homme barbelé » que nous brosse la narratrice, sous la plume de Béatrice Fontanel, dans ce roman en forme de puzzle qui éclaire par petites touches les zones d’ombre qui entourent le passé de Ferdinand, des tranchées de Verdun en 1916 jusqu’à sa disparition mystérieuse et brutale dans l’enfer de la déportation. Qui était vraiment Ferdinand ? Un héros ? Un fou de guerre ? Un salaud ? Ou tout simplement un homme comme tant d’autres, pétri de contradictions, confronté à des circonstances qu’il n’a pas choisies et qui le dépassent ?
Béatrice Fontanel nous laisse, à nous, lecteurs, le choix de juger. Le choix de décider si Ferdinand est réellement un monstre ou un homme qui n’a pas su, une fois retourné à la vie civile, s’adapter à autre chose qu’aux fracas des champs de bataille.