Magazine Politique
Ségolène Royal régionalise au maximum sa campagne persuadée d'optimiser son score mais aussi à moyen terme de dissocier son image des élites parisiennes qui subissent actuellement un rejet notoire.
La mode est à la dénonciation du divorce entre les français et leurs élites. Le fossé qui les sépare est en effet particulièrement profond. Pourquoi ?
Dans la culture française, l'erreur est mal acceptée. Dans beaucoup d'autres pays, il en va différemment. L'erreur peut être perçue comme faisant partie de la vie, voire même un facteur de progrès.
En France, l'erreur est signe d'une faiblesse. C'est une déficience qui touche la personne dans son être, dans son statut social.
Ce refus d'intégrer l'erreur comme une composante de la vie conduit d'ailleurs à créer un climat très particulier de refus de culpabilité.
Les médias ont considérablement accentué ce climat en généralisant une ambiance globale du " à qui la faute ? ".
Le manque de professeurs dans les écoles, la faiblesse de crédits de recherche, tel ou tel mauvais résultat et la course aux erreurs est immédiatement engagée.
Parce que le refus de la reconnaissance de l'erreur est poussé à l'extrême, on en vient presque à légitimer le mensonge.
Dans une société qui désacralise l'erreur, le mensonge n'a pas sa place.
Mais dans une société qui interdit l'erreur, le mensonge peut devenir le moyen d'échapper au constat humiliant de l'erreur. C'est la justification de cet adage populaire " toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire ".
Si aujourd'hui les citoyens sont coupés de leurs élites politiques, administratives ou économiques, c'est qu'ils ont la certitude que ces élites ont cumulé trop d'erreurs et trop de mensonges.
Trop d'erreurs, parce qu'elles n'ont pas été capables de suffisamment prévoir, d'engager les réformes pour sortir de la crise.
Trop de mensonges, parce que les élites se sont discréditées en refusant d'accepter leurs erreurs.
Ce cumul a cassé la confiance et le respect.
Il n'y aura donc d'évolution qu'en apportant une double correction :
- admettre le droit à l'erreur,
- pour enfin refuser le droit au mensonge.
Cet enjeu montre qu'il s'agit de bâtir une autre culture politique. Il ne peut plus être question de s'en remettre à une " élite providentielle " ayant réponse à tout.
Bien au contraire, il importe d'évoluer vers davantage d'humilité, de transparence, d'écoute, de partage des décisions.
C'est une vraie " nouvelle morale " qui est nécessaire.
Sur quoi repose cette nouvelle morale :
- il faut dépasser les oppositions systématiques pour faciliter les passages et les rencontres de points de vues,
- il faut ouvrir les instances de direction aux profils les plus divers,
- il faut rompre avec l'autoritarisme aveugle qui refuse le compromis et qui repose en permanence sur une valorisation excessive de l'intérêt général en qualité d'abstraction.
La précarité ne devrait pas d'abord frapper les plus faibles mais les plus puissants. Les dirigeants, plus que tous les autres, doivent être contestés de façon permanente afin d'évincer les incapables ou les paresseux.
Sans cette instabilité permanente des élites, ces dernières se sclérosent, se protègent, se coupent de la " vraie vie " connue par le plus grand nombre et accélèrent leur chute.
Cette nouvelle mentalité est le principal défi des prochaines années. Elle ouvre un exercice différent du pouvoir.
Elle impose un contrôle différent du pouvoir.
Elle exige un exercice différent de la qualité de citoyen.
Cette nouvelle mentalité est celle qui inspire les discours de Ségolène Royal. Elle est probablement en train de réussir une conversion qui pourrait ouvrir de nouveaux espaces politiques après les régionales.
Le chemin sera étroit mais sa démarche est actuellement celle qui, par le terrain local, prend les distances les plus grandes avec les élites sans tomber dans le populisme inquiétant.