Le PDG de Penguin Group est intervenu dans une tribune publiée par le Wall Street Journal, pour mesurer, si tant est que cela puisse être fait, les évolutions du numérique aujourd'hui et celles du papier, alors. S'appuyant sur l'iPad, dispositif qui profite de la technologie iPhone pour offrir Harry Potter (simple exemple erroné de sa part, Rowling refuse catégoriquement une version ebook de ses livres) au grand public et aux utilisateurs d'iTunes, il y voit « une proposition séduisante et intelligente ». Et salue même le talent créatif d'Apple...
Au compte d'Amazon, qui a tracé la voie de l'ebook, il faut mettre que l'appétit du grand public a été dévoilé par son Kindle, et si aujourd'hui, on peut encore spéculer sur la taille et la croissance de l'ebook, nul ne doute encore que la mutation structurelle du livre est la plus profonde depuis Gutenberg. Et la seule réponse honnête qu'un éditeur puisse apporter est celle d'un « enthousiasme anxieux », précise John Makinson.
Le piratage est l'une de ces sources d'anxiété : la musique a montré un exemple de ce qui pouvait se passer, avec le partage illégal de fichiers et la politique particulièrement agressive sur les prix. Mais les livres sont différents, aime-t-on croire dans l'industrie - parce que si l'on peut acheter un titre unique d'album, on continuera d'acheter un Stephenie Meyer entier, en librairie ou pour le Kindle. Certes, pourtant quid des livres pratiques ? Ou les ouvrages scolaires ? Le sujet n'est pas même effleuré.
« Mais nous sommes vulnérables aux marées numériques qui emportent les prix et la protection du droit d'auteur dans les autres médias. Le défi est d'anticiper et d'agir sur l'évolution spectaculaire des choix des consommateurs, tout en conservant un excédent suffisant dans l'industrie qui permettra de poursuivre son développement pour de nouveaux auteurs et la prise de risques. Pour cela nous aurons besoin de garder un contrôle strict des droits et une certaine autorité sur les prix. »
Revenant sur l'expérience de Allen Lane, en 1935, le fondateur de Penguin, qui achetait les droits pour des versions poches, créait une jolie couverture et vendait des livres à des tarifs dérisoires, John la compare à celle de Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon. Car « l'ebook est le descendant direct du livre de poche de 1930. Comme son ancêtre, il devrait être moins cher qu'un livre broché, car il ne coûte presque rien à produire et les droits peuvent être acquis séparément des autres formats ». En somme, résume-t-il, Amazon a suivi la même logique, et aujourd'hui achète des droits numériques pour des auteurs, tout en les vendant à des tarifs très bas. Une concurrence âpre.
Aujourd'hui, tout le monde fait du poche. Ou presque. « Le modèle intégré est devenu universel, parce qu'il fonctionne. » Acquisition, édition, vente, commercialisation, tout cela ne bouge pas, quand un des formats, papier ou numérique, gagne du terrain sur l'autre. Il faut simplement s'adapter, et parvenir à proposer ses ouvrages sur une multitude de chaînes de vente. Et pour la tarification, la logique est la même.
« Le faible coût de production est pour les auteurs l'opportunité de droits reversés plus importants, et pour le consommateur de prix plus bas. » Mais le coût physique d'un livre, fabrication, transport et stockage représenterait moins de 10 % du prix au détail, ajoute John. 10 % qui sont aussi la marge de l'éditeur, nécessaire pour qu'il continue son travail. Alors oui : si les consommateurs souhaitent demain une version de Jane Austen avec les voyelles en rouge et les consonnes en vert, l'éditeur fera de son mieux pour lui proposer, mais il gardera surtout un oeil attentif à ce Nouveau Monde de l'édition, pour qu'il profite à tous ses acteurs...