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Sans doute est-ce en toute innocence que vous comîtes cet acte.
Rien que de bien ordinaire somme toute comptes tenus des multiples sollicitations qui sont les vôtres.
Chaque jour, je vous vois, pliant sous le poids des enveloppes déposées en vos boîtes aux lettres, d’anonymes qui espèrent voir leur travail prendre son envol.
Et, chaque jour, c’est devenu presque une habitude, vous chargez quelque larbin d’ouvrir les enveloppes, vous jetez un œil distrait sur la lettre d’accompagnement, surveillez que le récipiendaire a bien joint son enveloppe de retour, et hop !
Et hop !
C’est si simple, au fond, de renvoyer ce qui gêne, de ne même pas jeter un œil quand, par ailleurs tant de valeurs sûres vous donnent bien assez de travail pour justifier de vos ressources.
Non que vous rouliez sur l’or, non. Je ne vous imagine pas ainsi, mais quand même : vous au moins vivez de cette chaîne du livre qua tant d’édiles surveillent, presque avec autant de commisération que leurs valeurs en bourses.
Je ne vous crois pas encore à ce niveau, bien que : les groupes éditoriaux sont avides, et parfois phagocytent les plus petits sans crier gare.
C’est alors, qu’à la base, à la fondation du livre, on pleure…
Car, plus la concentration est patente, et plus la diversité d’expression souffre.
Ô, bien sûr, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une censure. Non, je n’irai pas jusqu’à dire…
Mais, savez-vous, Madame, Monsieur (car je ne sais à quel genre vous appartenez), ce que fait une enveloppe qui revient, avec un manuscrit visiblement ni ouvert, ni lu, même pas parcouru, sans même un mot, une carte de visite, un signe de reconnaissance, à défaut d’un commentaire acerbe, ou gentiment encourageant ? Le savez-vous ?
Je ne suis pas sûr que vous mesuriez toute l’espérance qui se cache dans le geste de mettre trois exemplaires d’une œuvre en travail depuis des années, dans une boite postale.
Bien sûr, raisonnablement, on se dit qu’il ne faut point rêver ; qu’on n’est pas le seul, ce même jour de décembre, à faire ce même geste. Mais quand même…
On se dit qu’on a travaillé. On se persuade que, si un premier a déclaré forfait par faillite, les suivants ne pourront pas rester indifférents. On se dit que, dans trois mois, peut-être, positive ou négative, il y aura un retour…
Mais on ne pense pas un instant que même le plus minable travail puisse se heurter à votre indifférence, à votre lassitude. Car, voyez-vous, sans savoir qui vous êtes, on préfère vous imaginer las, ou lasse, selon votre genre.
Et votre genre n’est pas le mien.
Que coûte en effet de glisser une carte de visite amicale ? Un simple mot, voyez : du genre « Votre écrit est intéressant pais ne correspond pas à notre ligne éditoriale ». Une phrase toute faite, un tampon ordinaire, mais avec un en-tête, un malheureux signe qui vous situe encore parmi les Hommes, les vrais, ceux qui ont encore un peu d’humanité à partager…
Mais, là…
Savez-vous l’impression que fait l’envoi de trois enveloppes : deux vers Paris, une vers Montpellier, dont une vous revient, sans un signe d’identification, postée dans un bureau anonyme du département de l’Isère ? Le savez-vous ?
Cet acte est comme une gifle administrée à notre espoir d’humanité…
Pierre Jourde avait écrit un livre, « La littérature sans estomac », je crois vraiment que celle- ci est tout à fait au diapason d’une édition sans humanité.
Ne m’en veuillez point de rendre public mon coup de colère. Je ne vous en veux pas. Je vous imagine las de tout ce que vous recevez, de ces gens à l’ego surdimensionné qui vous serinent que leur bouquin est celui que la littérature attendait…
Je ne suis pas de cette espèce. Lorsque je reçois une gifle, je commence par me poser la question d’en connaître la justification, et comme je sais d’expérience ne pas pouvoir agir sur les autres, je revois ma copie, jusqu’au jour où la patience se voit récompensée.
Sachez seulement, Madame, Monsieur, que, d’ici-là, j’aurai bien fini par savoir qui vous êtes parmi mes trois élus, à avoir eu ce geste déplacé. Je saurai alors que j’aurais bien du mal, désormais à accabler votre lassitude de mes proses redondantes…
Manosque, 7 janvier 2010
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