William Deresiewicz nous livre dans The Chronicle un long mais passionnant article sur ce que révèle le succès de Facebook de l'évolution de la notion d’amitié.
Et en effet, alors qu’une récente étude menée par Robin Dunbar démontre que le cerveau humain n’est pas capable de gérer un réseau de plus de 150 amis, il est intéressant de mettre en perspective le succès de Facebook au regard de l’évolution historique de la notion d’amitié.
Il fut un temps où l’amitié se méritait.
Dans un monde ancien régi par des relations de pouvoir et de domination, la notion même d’amitié n’allait pas de soi.
L’amitié était alors un bien précieux, rare, qu’il fallait conquérir.
Avec le temps, et la « fraternité » de la Révolution Française en témoigne, l’amitié est devenue un élément structurant de la société.
A société moderne, rapports sociaux modernes.
Egalité, individualité, liberté de choix, libre expression, tous ces termes qui peuvent apparaître parfois comme des poncifs, s’appliquent désormais à la relation d’amitié.
Bienvenue dans un monde où on peut devenir ami de qui on veut.
Du coup, le sens profond de l’amitié a bien évidemment évolué. Essayez de trouver des amis sur FB pour donner un coup de main au déménagement, vous verrez ce n’est pas simple…
L’ami est devenu une notion floue, marchande, médiatisée.
Alors qu’on pouvait attendre de l’ami des remarques, des critiques ou des encouragements, l’ami idéal est devenu plus lisse, plus fun, sans risque de problèmes. Eh oui, nous sommes tous très occupés, alors si en plus il faut se taper les problèmes des amis…
Que se cache-t-il derrière le succès de sites comme Copains d’Avant, si ce n’est la quête nostalgique d’un temps révolu, d’une certaine jeunesse ? Comme si retrouver ses copains – perdus – d’enfance valait filtre d’éternelle jeunesse.
Et FB dans tout ça ? Ce fameux réseau social dont la promesse centrale est d’offrir à chacun la vision de votre cercle élargi d’amis.
Une sorte de dispositif panoptique où l’internaute, d’un seul coup d’œil, embrasse la largeur, profondeur, richesse de votre « réseau d’amis ».
Des amis qui se réduisent alors à quelques commentaires laissés, une sorte d’ersatz d’ami.
Derrière le succès de FB, William Deresiewicz y voit l’illusion de croire qu’une liste d’amis fait groupe, offrant ainsi une proximité émotionnelle.
Et c’est cette émotion qui se substitue à la relation amicale. J’avais gratté il y a quelque temps un papier sur la bonne vieille règle qui veut que plus on communique moins on a d’amis. Cela semble toujours aussi vrai.
L’amitié se réduit ainsi à une sensation, une connexion. Connexion Haut Débit, forcément indispensable quand l’enjeu n’est plus tant de converser que de broadcaster ses sentiments.
L’intime devient alors extime, on ne s’adresse plus à des individus mais à une foule, dans une sorte de tentative désespérée de se rappeler que l’on a des amis. Et bien que la foule soit plutôt du genre solitaire, comme l’a bien analysé David Riesman.
Dès lors, les relations entre amis relèvent davantage de l’échange d’information que de l’expérience humaine.
Et William Deresiewicz de conclure : « We have given our hearts to machines, and now we are turning into machines.”
D’ailleurs en y pensant, mes amis, qui se comptent sur les deux mains, ne sont pas sur FB.
Eh bien voilà, ce papier fête en quelque sorte les cinq années d’existence de ce blog, qui ma foi, continuera – ou pas, sur un rythme plutôt aléatoire.
Musique!