Proto-King Kong
Dans L’étrange créature du Lac Noir (un film des années 50 qu’on peut voir en 3D, mais bon, ce n’est pas ce que j’ai fait), un groupe de savants remonte l’Amazone pour retrouver les traces (fossiles) d’une créature aux pattes mi-griffues mi-palmées (l’une de ces paluches vient d’être découverte, ce qui attise la curiosité du monde scientifique et la convoitise d’un mécène, attiré par le scoop). Un joli couple embarque : il est humaniste (il ne veut faire que des pré-lè-ve-ments, qui a parlé de tuer la bête ?) et un peu trop âgé pour son rôle de jeune premier musclé, elle joue la belle scientifique un peu potiche (malgré son intelligence). La bête est une sorte d’iguane humain aux yeux ronds et au cœur tendre : si elle tue tout le personnel mâle du navire qui lui tombe sous la main, c’est qu’elle ne rêve que d’enlever la jolie scientifique pour l’installer sur une sorte d’autel au fond d’une grotte, évanouie bien sûr. Là, le sang des humanistes encore vivants ne fait qu’un tour : on ne peut pas laisser une jeune femme si intelligente aux pattes (palmées) de King-Kong… Tout cela est hautement prévisible (et drôle, à mesure que se révèle l’obsession de la créature pour la jeune femme ; obsession bien compréhensible tant l’héroïne, au milieu des pires dangers, reste impeccablement vêtue et coiffée, incarnation parfaite de l’idéal féminin, et c’est tout à l’honneur de la bête d’avoir su l’apprécier), mais se regarde sans déplaisir.
On est toujours le freak d’un autre
Quand Hans le nain rencontre Cléo la belle trapéziste… ce sont deux mondes que confronte Tod Browning : celui des « freaks » aux corps étranges et celui des acrobates forains. A la croisée, il y a Venus qui partage ses peines de cœur avec Frieda, la naine délaissée par Hans, son ami clown ou encore le comique bégayant qui a épousé l’une des jolies siamoises… Mais quant à Cléopâtra et Hercule le musculeux, tout aux charmes de leurs corps « parfaits », ils se moquent bien de Hans, jusqu’à ce qu’ils apprennent qu’il a hérité d’une fortune et que de noirs projets germent dans leur esprit… A l’image d’une scène où les « freaks » qui dansent dans les champs sont houspillés par le propriétaire des lieux, le film entend montrer au spectateur comme dans un miroir la monstruosité de ceux qui s’estiment « normaux ». Le vrai monstre n’est pas celui dont le corps est difforme ou mutilé, mais celui dont l’âme est basse… Et gare à ceux qui offensent les "freaks", car le dernier quart d’heure renoue avec l’angoisse plus classique des films de monstre : l’être rejeté aspire à la vengeance et de grotesque devient une silhouette inquiétante… Nous connaîtrons à la fin le destin de celle qui, dans la terrible séquence du mariage, humilia son époux Hans en refusant d’entrer dans la communauté des monstres et en le traitant d’enfant… Un très beau conte sur la différence, que l’on peut prolonger en redécouvrant les carrières de ces comédiens hors du commun.