La transposition d’un concept innovant dans le monde tangible connaît-elle des limites?
La perspective d’un monde tangible modifié devrait-elle orienter nos choix en matière d’innovation?
La gravité a façonné tous les éléments qui constituent notre environnement. Notre morphologie et notre posture ont évolué dans son cadre, et lorsque nous matérialisons un dispositif, nos choix de conception sont naturellement contraints par cette force omniprésente.
Nous avons tous expérimenté la fluidité de l’eau; elle nous est familière et nous en acceptons le caractère immuable: sans obstacle, l’eau s’écoule. Un verre, un arrosoir ou une citerne, les contenants destinés à retenir un liquide soumis à la gravité terrestre obéissent à la nécessité de lui opposer une résistance. Les Danaïdes en font l’amère expérience.
Il en va de même lorsque nous définissons les aspects palpables d’une innovation: nous n’avons d’autre choix que de le faire dans le cadre des principes physiques qui régissent notre monde. Les ignorer serait absurde, la sanction immédiate.
Nous innovons depuis toujours dans un cadre régit par des principes qui établissent des limites implicites et tangibles. Les sciences nous permettent de les comprendre et d’en tirer parti; mieux nous intégrons ces réalités, plus nous sommes capables d’en envisager les opportunités.
Aujourd’hui, ces mêmes sciences indiquent que nous sommes en train de modifier le milieu qui nous a engendré. Elles envisagent le fait qu’il existe une limite au delà de laquelle le climat devient imprévisible. Elles mesurent le caractère fini et fragile du biotope et de la biosphère dont notre espèce dépend.
Ces alertes devraient modifier notre manière d’envisager le monde. Elles devraient remettre en question les orientations qui nous précipitent vers ces limites. Pourtant nous qualifions toujours de pertinentes des propositions qui les nient. Nous continuons à évaluer l’innovation suivant des critères obsolètes qui n’en considèrent que la pertinence immédiate et tangible. Nous persistons à remplir un tonneau percé.
Si l’innovation met en péril notre milieu, alors notre notion de pertinence doit évoluer rapidement pour intégrer cette réalité. Définissons de nouveaux principes, créons les conditions de nouvelles opportunités. Pour que l’innovation demeure une activité qui étend durablement le champ de nos possibilités, nous devons la contraindre explicitement dans un cadre qui garantit les conditions de la prospérité de notre espèce et sa capacité à innover encore.
Enrichissons de cette contrainte nos processus d’innovation pour en faire un principe à part entière. Innovons dans un cadre où une proposition est pertinente si elle préserve le milieu qui nous est familier et si elle contribue à éloigner la perspective d’un climat déstabilisé, qui nous dominerait bien plus brutalement que la gravité.
David L’Hôte
Designer, Chargé de mission développement durable.
Strate Collège Designers
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