Devant cet ami silencieux, on s'est disputé. Tu me traitas de vieille aiguière poussiéreuse. Et je te traitai de chaussette trouée, usée par le temps.
Et il demeurait silencieux...
Tu lui assuras que je mentais comme une sainte. Et je lui assurai que tu n'étais qu'un faux prolétaire, aussi artificiel que les néons fluorescents de la ville un samedi soir.
Et il demeurait silencieux...
Je te battis avec des balles de tennis et tu renversas sur ma tête mes livres et mes papiers. Et quand tu me poignardas avec ton billet d'avion, je brandis le drapeau de l'oubli et de l'indifférence
Et il demeurait silencieux...
Nos plumes se dispersèrent dans tout l'espace de la chambre. Tu juras que tu passeras ton temps à me haïr et je jurai que j'allais te jeter des sorts et des maléfices..
ET il demeurait silencieux
Je maudis Adam et tu insultas Eve et le serpent. Puis, je ne me souviens plus comment, soudain, on s'est embrassé et on s'est réconcilié.
Et il demeurait silencieux
Nous dansâmes jusqu'à l'aube et chantâmes l'hymne à la pomme..
Nous n'avons plus jamais parlé à cet ami...
Notre amour a un comportement étrange
Il est ensablé comme un enfant rescapé d'un continent que la mer vient tout juste d'engloutir. Il est étonnant comme le rire d'une vieille dame venant du fond du cœur. Il est saillant comme un chapeau de plumes colorées sur la tête d'une prêtresse.
Je pourrais te murmurer avec lassitude
et t'écrire avec la folie de l'ultime amante, ou t'appeler, torturée par ma haine pour toi et mon amour à la fois
Il y a comme de la divagation entre nous.
Je ferme la porte de l'oubli. C'est alors que des fenêtres ouvertes naissent sur les murs et que tes ombres courent dans mes veines comme le feu court dans les forêts. Et je hais et j'aime ton abandonnement sauvage dans les rivières de mes artères et dans mes sables mouvants...
On ne guérit de toi qu'avec cette gomme magique qui s'appelle l'oubli.
Mais elle ne se vend que dans la boutique de la mort. Qui pourrait me l'acquérir? Ou l'oubli serait-il le cadeau impossible?...
Ton amour est un invité insupportable.
Il débarque chez moi quand je m'y attends le moins. Il entre par la fenêtre, occupe mon lit, lève ses pieds sur mon oreiller en soie, enfume mes poumons avec son cigare, répond à mon téléphone, vire mes amis, saisit mon agenda pour rayer mes rendez vous...
Il me dicte ma coupe de cheveux, la couleur de mes vêtements, mes boucles d'oreilles, le tonalité de mon rire,le rythme de mes pas, la senteur de mon savon et mon pouls!
Il m'ordonne d'acheter une bougie noire et une rose rouge. Il jette mes papiers par terre pour essuyer ses chaussures et me fait comprendre dès le début qu'il ne restera pas... Mais il refuse de m'informer sur les horaires de ses avions, sur son emploi du temps et cache ses boussoles secrètes...
Je me révolte mais il continue de m'imposer mes heures de sommeil et d'éveil... Il écrit les rêves que je vais voir et mes cauchemars... Je lui cède épuisée et me transforme en poupée modelable entre ses mains.
Je me réveille la nuit en l'appelant pour trouver les fenêtres grand ouvertes et sa majesté parti...