Une belle photo est une œuvre d'art et il y a des auteurs en photographie comme il y en a en littérature, musique ou peinture.
Mariée très jeune, à 18 ans, elle s'intéresse à la photographie parce que son mari lui offre un appareil photo pour dit-on, la consoler de ne plus peindre. C'est Berenice Abbott, l'ancienne assistante de Man Ray, qui lui explique le métier alors que Diane initie son mari à la technique. Ils resteront collaborateurs même après leur divorce.
J'ai cru comprendre qu'ils avaient tous les deux fait énormément de photos publicitaires pour faire bouillir la marmite comme on dit. Mais aussi que Diane s'était spécialisée dans le portrait, essentiellement celui de marginaux : des géants, des nains, des hommes à deux têtes, des acteurs de "sideshows" de Conay Island. Elle se serait précipitée pour voir le spectacle à propos duquel j'ai écrit hier, Obludarium. L'interdit l'attirait comme un aimant et l'effrayant lui inspirait de la tendresse. Elle a exploré les quartiers mal famés dont son enfance d'ex-petite fille riche l'avait tenue à l'écart. Elle s'intéresse aux déshérités qu'elle immortalise plein cadre. Plus tard, Avedon, admiratif, imitera son style en lui empruntant ses bordures noires irrégulières.
J'ignore s'il y a un rapport direct entre le livre de PPDA et le travail de Violaine Binet. Je vais me borner à pointer la coïncidence et ma déception. Son livre compile une succession de faits sans analyse et me laisse sur ma faim. Il y a certes une intéressante analyse de la place de la photographie au musée américain MOMA qui passionnera les spécialistes (p.148). Reste que je ne comprends pas la finalité de l'ouvrage. Et il est totalement insupportable de faire référence au travail d'une photographe sans montrer un seul de ses clichés. L'auteur a parait-il apporté des éléments inédits. L'ennui est qu'elle ne fait pas revivre pour autant la grande artiste. Pour qui n'est pas spécialiste c'est tout de même la première attente qu'on peut avoir d'une biographie. Je me promets donc de me plonger dès que j'en aurai le temps dans l'ouvrage précédemment écrit par Patricia Bosworth.
Et pourtant Lila a quitté Tananarive à 14 ans en bonne santé, pensant aider ainsi sa famille à mieux subsister. Elle devait aider une maitresse de maison dans les taches courantes et en contrepartie toucher un petit salaire et suivre une scolarité.
Non seulement il n'en fut rien mais Lila a été honteusement exploitée, maltraitée au-delà de ce qui est imaginable. Même le mot esclave est en deçà de la vérité. Aux États-Unis de telles pratiques sont condamnées très sévèrement à de la prison ferme. En France les mêmes crimes sont punis d'une peine avec sursis. Étrange mansuétude !
Le Code pénal ne prévoit pas l'incrimination d'esclavage et Robert Badinter s'est opposé en son temps à sa révision. Du coup en toute logique (si je puis dire) les condamnations ne peuvent porter que sur des conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité, sur des violences physiques ou verbales ... Ce qui est encore plus dramatique dans l'histoire de Lila c'est qu'elle a été victime de quasi "voisins", ce qui rend sans doute les choses plus opaques à une justice qui n'est pas très préoccupée de ces situations et qui accumule les vices de procédures.
Dominique Torrès et Jean-Marie Pontaut ont mené une enquête très approfondie qui se lit aisément malgré la noirceur du sujet. Espérons qu'un livre-choc comme celui là permettra d'éviter que d'autres Lila subissent le même sort !
Diane Arbus par Violaine Binet, chez Grasset
Lila, Etre esclave en france et en mourir par Dominique Torrès et Jean-Marie Pontaut, chez Fayard