A quarante ans, la foudre peut encore tomber et le destin encore s’écrire, mais à quel prix ?
Hervé le Tellier, en horloger délicat, trace la parabole de leurs trajectoires.
J’ai commencé ce livre en ayant un doute sur la simplicité de l’intrigue car sachant l’auteur membre de l’Oulipo, je me disais qu’il allait me réserver quelques surprises. Ce fut un festival dont il est difficile de rendre la totalité des artifices. Et surtout je m’en voudrais d’atténuer le plaisir des futurs lecteurs en dévoilant les dessous de ces chassés-croisés incessants entre les personnages et les collusions avec des faits historiques, des célébrités, et des analyses littéraires, philosophiques, scientifiques, et j’en passe.
C’est un produit rare parce que le fond y est aussi intéressant que la forme (il ose les phrases rayés, l’édition sur plusieurs colonnes, les notes de bas de page qui n’en finissent pas, un chapitre de sept petites lignes, des reproductions de documents …). Comment alors en parler sans en dire trop mais juste assez ? C’est Marivaux puissance cinquante. C’est Georges Pérec amoureux. C’est Monsieur Hulot emmenant Godard sur son vélosolex. C’est avant tout la rencontre d’un écrivain avec un lecteur ou une lectrice.
Les exercices de style sont multiples et fort réussis. Il existe dans ce roman quelques joyaux enchâssés au juste endroit, avec ce qu’il faut de fausse désinvolture (j’ai relevé deux fois le mot « parler » dans une même phrase du discours sur le langage) pour que l’on verse dans le piège du « facile à écrire ». L’auteur lui-même dénonce les clichés de l’écriture (p.54). Mais cela ne l’empêche pas de les collectionner. Par exemple en faisant allusion aux nouvelles capacités créatives que le musicien Chostakovitch a développées après avoir reçu un éclat d’obus dans la tempe il imagine qu’une rencontre amoureuse peut avoir un effet comparable sur le cerveau d’un homme. Jolie conception du coup de foudre qui mérite la postérité comme la madeleine de Proust.
Le mot hasard vient de l'arabe oriental az-zahr, qui désigna jusqu'au XIIe siècle un jeu de dés. Hervé le Tellier nous illusionne en nous parlant de ses dominos et se joue de nous en permanence. C’est lui qui a les dés gagnants et qui remporte la mise haut la main.
La partie est serrée et le défi permanent. L'auteur nous fait comprendre qu’il espère que le lecteur en saura plus en refermant le livre qu’avant de l’avoir commencé et cite Michaux (p.74) : Toute science créé une nouvelle ignorance Qu’il se rassure : j’ai appris beaucoup et avec plaisir.
C’est une lecture réjouissante, qui se lit à plusieurs niveaux de sens. En tant que membre du jury je n’ai qu’une envie c’est qu’il ait le prix pour pouvoir rencontrer cet auteur prolixe, l.. le voir évoluer dans un petit morceau de vraie vie et ... bien entendu lui soutirer une dédicace (... subtile allusion à ses confidences sur le sujet page 60).
Hervé le Tellier,
Assez parlé d'amour,
chez Jean-Claude Lattès, 2009.