Çà pourrait être un hangar, un entrepôt avant inventaire où les as du déménagement s’entraîneraient au lancer de cartons. Nous allons de toute évidence nous enfoncer dans un cirque de l’absurde où les choses ne se passeront pas comme prévu, apparemment du moins. Mais nous sommes surs d’une chose : nous rirons franchement comme les enfants ravis de voir surgir un éphémère escalier.
Nikolaus n’a aucun mal à nous démontrer le second théorème de la thermodynamique, à savoir que, dans un système fermé, le désordre augmente au fur et à mesure que le temps passe. Il jongle avec les idées comme avec les objets sans cesser de nous surprendre.
Il entretient un dialogue permanent en connivence avec le public. On croit qu’il plaisante lorsqu’il nous remercie d’être venu et qu’il s’inquiète que nous puissions perdre notre temps avec lui si le spectacle est raté. C’est écrit dans le titre alors on s’attend à tout.
Le voilà qui se lance dans des calculs impressionnants, multipliant la durée de la représentation par le nombre supposé de spectateurs, de dates, … et déclare le résultat tout bonnement inacceptable.
De fil en aiguille la catastrophe devient équivalente à la traversée de l’Atlantique à la rame puis à une guerre perdue avec 40 000 cadavres. Et puis, mine de rien, il se risque à une considération philosophique : le temps perdu est-il vraiment du temps perdu ?
Ou encore celle-ci : Le carton peut se casser mais il ne se « décassera » plus jamais dans le temps.
La représentation est assez indescriptible. Autrefois les artistes de cirque étaient applaudis en fonction du risque et la performance était facile à noter. Monsieur Loyal impressionnait un public déjà alerté par un roulement de tambour.
Aujourd’hui les numéros s’enchainent avec une apparente décontraction, obéissant à une logique invisible. Hier l’artiste envoyait en l’air un nombre toujours plus impressionnant de balles, d’anneaux, de massues … qu’il s’efforçait de rattraper sans en perdre en route. Maintenant les objets semblent exonérés de la gravité universelle et suivre un parcours fléché, anticipé tout en douceur par le jongleur.
Les balles glissent sur le corps. Le jongleur pourrait être un prestidigitateur. L’acrobate est aussi contorsionniste. L’équilibriste créé lui-même les pièges dans lesquels il se laisse tomber. Les balais volent. Les pantalons tombent. La prouesse se fait discrète. Et pourtant elle est bien là. S’il y a des trucages, ce ne sont pas avec nos émotions. Ce qui nous est donné à voir est autant la réalité de Nikolaus que la nôtre.
Diplômé du CNAC avec les félicitations du jury en 1991, Nikolaus a fait ses premières armes chez Archaos et au cirque Baroque avant de se lancer dans ses propres pièces en solo et révèle l’auguste danseur, le jongleur virtuose. En prise avec le monde qui l’entoure, il se lance des défis absurdes, se laisse torturer par les objets dont pourtant il essaie inlassablement de détourner l’usage. Entre humour et burlesque, théâtre et jonglage, son travail lui a valu le grand prix du festival Circa à Auch (92) et le prix Raymond Devos (94). Il a fondé sa propre compagnie “Pré-O-ccupé”en 1998.
Il raconte que cette fondation s’est construite sur le fantasme de faire un exploit : Je voulais écrire des histoires comme Anton Tchekhov, mais le jour où je suis tombé sur les histoires d’Anton Tchekhov j’ai découvert que c’était déjà fait. Je voulais créer un personnage comme Buster Keaton, mais le jour où j’ai vu un film de Buster Keaton j’ai découvert que c’était déjà fait. Je voulais faire un numéro comme le clown George Carl, mais le jour où j’ai vu le numéro incroyable de Georges Carl j’ai découvert que c’était déjà fait. Je voulais jongler comme Ignatov mais de toute façon, je n’y arriverai jamais.
Personne ne fait « comme » et c’est cela qui est passionnant dans la vraie vie et dans le monde du spectacle. En tant que spectateur aussi, on a beau aller à un grand nombre de représentations c’est toujours quelque chose de différent qui nous est donné à découvrir. En voulant échapper à la règle Nikolaus se donne des contraintes qui le mettent sur le rail d’un nouveau spectacle.
Cette fois c’est au mystère de la plus grande des créations qu’il s’est attelé en faisant revivre au spectateur les débuts de l’humanité et le fameux grand big bang. La création a été découverte en 2007 dans le cadre du festival Solstice bien connu du public francilien. Déjà trois ans donc qu’il se joue tout en maintenant l’entrainement quotidien pour assurer la mise en place minutieuse de ce qui reste de l’aléatoire. Rien n’est sur, sauf la beauté de l’instant du point mort.
RATÉ - RATTRAPÉ - RATÉ
Conception : Nikolaus-Maria Holz et Christian Lucas
Écriture collective : Nikolaus-Maria Holz, Christian Lucas, Pierre Déaux et Mika Kaski
Mise en scène : Christian Lucas
Création lumière/scénographie : Hervé Gary
Création musicale : Olivier Manoury
Avec Nikolaus, clown-jongleur-acrobate
Joël Colas, funambule
Mika Kaski, équilibriste
Je remercie Marie-Lise Fayet de m’avoir permis de voir le spectacle le 24 janvier 2010 au théâtre Victor-Hugo de Bagneux (92) Tél. : 01 46 63 10 54
Site de la Compagnie : http://www.preoccupe-nikolaus.com/
Vous pourrez notamment y trouver les dates de la tournée qui se poursuit.
la photo de Nikolaus est signée de © M. Wagenhann