Elle finira bientôt par être drôle, cette histoire de voile.
Drôle et signifiante.
Si la France avait encore compté plus de Roland Barthes que de Bernard-Henri Lévy, si l'on entendait plus Jean Starobinski que la Star Academy, plus de Lacan que de cancans, peut être que nous n'en serions pas réduits aujourd'hui à avancer comme des rats dans un tunnel de ténèbres et d'immondices.
Qui sont les obscurantistes aujourd'hui?
Celles qui portent un foulard sur les cheveux parce qu'elle ne se sont pas (encore?) résolues à l'ôter? Parce que leur parcours personnel, leur cheminement individuel et politique, philosophique à ce stade, ne leur impose pas (et peut être jamais, et alors?) l'athéisme comme absolument nécessaire à leur combat?
Ou ceux qui font de la transparence, du dévoilement érigés en principe impératif catégorique, l'obstacle le plus sûr à l'émancipation du peuple par le peuple?
L'obligation de se dévoiler est un ordre imbécile donné par des tartuffes qui avancent masqués tous les jours, et ne font les choses, eux , que derrière un voile.
L'obligation de se dévoiler est un ordre inique donné par des lâches qui meurent de trouille que l'autre voile, le vrai voile, celui qui tient le peuple dans l'ignorance et la paralysie, celui qui protège leurs magouilles, soit arraché.
A leur incantation forcenée et hystérique au dévoilement devrait être répondu: "Chiche? Si moi, j'enlève mon voile, toi, tu enlèves ton masque".
Je me dévoile si tu te dévoiles.
Je me dévoile si tu dévoiles quelque chose de bien plus laid et répugnant que cette religion que tu me reproches, je me dévoile si tu dévoiles, toi, tes motifs réels, tes intérêts personnels à prendre ouvertement tes concitoyens pour des cons en prétendant être "de gauche" depuis 25 ans.
Chère Ilham,
Je ne te connais pas, mais je te dis: garde-le, ton foulard, si c'est ainsi que tu te sens bien, si c'est ainsi que tu te sens suffisamment forte pour entrer dans ce difficile combat qu'est celui que tu as choisi.
Garde-le, je préfère gagner une camarade avec un foulard, plutôt que de perdre une camarade qui était prête à lutter avec toutes et tous sans exclusive contre le capitalisme, à cause d'un foulard.
Ce monde dans lequel nous visons toutes, nous autres, toutes un peu "Ilham", au fond, est encore et toujours, un monde d'hommes, patriarcal ou machiste, réactionnaire, au moins autant à gauche qu'à droite.
On te clouera au pilori "pour ton bien".
On te contestera ta légitimité "pour ton bien".
On te tiendra à l'écart "pour ton bien".
On se servira de toi "pour ton bien".
On te raillera si tu es laide, car tu seras jugée "imbaisable",(traduire: indigne de recevoir leurs fantasmes de bites aussi courtes que leurs idées).
On te méprisera si tu es jolie, a fortiori si tu ne te donnes pas, on te fera passer pour une sotte, une hystérique, une arriviste, une marie-couche-toi-là "Ah on sait bien comment elle est arrivée là celle-là".
Et les femmes qui singent les hommes, croyant ainsi, avec leurs minables petites couilles d'emprunt, oublieuses que c'est dans leur ventre que peut naître la vie nouvelle, y arriver mieux et plus vite, ne seront pas les dernières à te caillasser, oh non.
Sur cette voie difficile, celle d'être une femme qui, en plus, lutte pour son émancipation (contre un père, contre une culture, contre une famille, contre le capitalisme...), tu rencontreras aussi des hommes, de vrais hommes, pas des macaques qui courent après les ombres dans la caverne, pour qui tu seras une Égale sans pourtant cesser d'être une Autre, c'est-à-dire, une femme.
Pour aller encore plus loin (et tant pis si on me le reproche) si à ma manière je n'avais pas "la foi", une foi en ce que l'homme peut être capable du pire comme du meilleur, une foi en l'espoir d'un avenir meilleur, je ne serai pas là en train de t'écrire.
Prends-soin de toi, reste toi-même le plus possible, la politique change les êtres. Rend coup pour coup quand on te frappe, ne t'excuse jamais d'avoir un point de vue minoritaire, sache aussi écouter les autres quand ils prennent la peine d'argumenter avec toi et reconnaître tes erreurs le moment venu, et "Vai via".
J'ai confiance en nous toutes et tous militants communistes, socialistes révolutionnaires, anarchistes; le jour, (s'il arrive, ce jour!), où tu confondrais profession de foi politique et profession de foi religieuse, nos chemins se sépareront.
Nous pourrions sans doute avoir des différends politiques, mais ce ne sera pas ton foulard qui nous servira d'argument ce jour-là, et c'est à cela que, malgré tout, nous nous reconnaîtrons (en tout cas, j'espère bien que je n'en serai jamais réduite à de telles bassesses, me respecter toujours assez et respecter encore assez les autres pour exercer un minimum de dialectique et d'analyse critique).