Une Mauritanie d'hier et une Mauritanie d'après demain

Publié le 07 février 2010 par Bababe

Une Mauritanie d’hier et une Mauritanie d’après demain dans deux ouvrages « notés » par Mohamadou Saidou TOURE :

*Mauritanie du Sud. Conquêtes et administration coloniales françaises, 1890-1945. Auteur du livre : Ibrahima Abou SALL

*Oualata, le secret de la Mauritanie heureuse.de Medely (pseudonyme du professeur Ely Moustapha)

* La conquête du territoire mauritanien ne se réduit donc pas à cette opposition schématique, largement entretenue et véhiculée par une certaine vulgate de la Mauritanie indépendante, entre un « Sud » collaborationniste - que l’on aurait occupé et colonisé sans coup férir - et un « Nord » héroïque et martial : dans le « Trâb El Bîdhân », comme dans le Waalo Barak, le Guidimakha et le Foûta Tôro, des actions de résistance ont été entreprises contre la pénétration coloniale. La divergence d’intérêts politiques, économiques et idéologiques fut opportunément exploitée, partout ailleurs, par le colonisateur, au grand dam des résistants qui durent se résoudre à le combattre en rangs dispersés et à tisser des alliances anticoloniales au-delà de leur espace politique trbal ou ethnique  :
- Abdoul Bocar Kane contre des notabilités de provinces (marginalisées à tort) qui s’allièrent à la France pour remettre en cause la prééminence politique de leur rival, qu’elles contestaient.
- Cheikh Ma El Aynin (marabout hostile à la présence des « infidèles » en pays musulman et qui appelle au « djihad ») n’a pas la même appréciation que son pair, Cheikh Sidya Bâbe, qui n’hésite pas à rédiger une « fatwa » à l’attention des tribus maures pour justifier la nécessité de la présence coloniale française, qui serait seule capable de mettre fin à la violence et à l’anarchie. 
- Alliance, dans le Waalo Barak, des Loggar avec les Français, qui leur permirent de prendre le dessus sur leurs rivaux Teejjek.
- Alliance interethnique (bîdhân-haal-pulaar-wolof) entre Bakkar Ould Sweid Ahmed, Abdoul Bokar Kane et Alburi Ndiaye contre le colonisateur.
- Assassinats politiques, en pays maure et haal-pulaar, dans certaines familles régnantes déchirées par des luttes de clans qui se positionnent pour ou contre la France, selon leurs intérêts politiques.

La résistance à l’occupation coloniale, pour être réelle en Mauritanie, n’en reste donc pas moins entachée par des querelles de préséance politique des chefs locaux, dans lesquelles il est difficile de percevoir explicitement la primauté de l’intérêt général de leurs peuples. Contre une certaine historiographie mauritanienne encline à aller vite en besogne en tressant des lauriers à des « héros » érigés en modèles pour le jeune Etat mauritanien (assoiffé de grandeur), il s’imposait de démêler l’écheveau des mobiles qui président aux luttes anticoloniales. Elles semblent, en effet, obéir, dans bien de cas, à des intérêts particuliers, et certains « héros » anticolonialistes mauritaniens ne paraissent pas avoir une opposition de principe à l’impérialisme, s’ils ont l’opportunité de l’exercer eux-mêmes sur leur voisins immédiats.

 Alliance entre les représentants de l’empire omarien ( pourtant officiellement d’inspiration islamique) et la France impérialiste contre le marabout soninké Mamadou Lamine Dramé, hostile à l’occupation française.
- Exactions récurrentes des guerriers maures sur les populations de la rive droite du fleuve Sénégal, qu’ils n’hésitent pas à piller et à asservir.
-Prétentions impérialistes de Bakkar Ould Sweid Ahmed (figure de proue de l’anticolonialisme en pays maure) sur le pays soninké, etc.
Ce sombre tableau suffit, tout seul, à démystifier l’image idyllique d’un peuple mauritanien soudé et uni dans l’histoire face à un ennemi extérieur commun, le colonisateur, à qui on impute commodément tous les maux de la Mauritanie, dans cette posture narcissique et idéalisée de soi qui consiste à se dédouaner, à bon compte, de ses errements passés, présents et à venir. Malgré les échanges culturels nombreux entre les Mauritaniens, leurs liens de sang et leurs alliances interethniques avérées dans le passé, on ne saurait faire abstraction des épisodes dramatiques de leur histoire commune, faite aussi de persécutions et d’oppressions avilissantes : citer ces faits n’est pas un acte anti-patriotique.
Le mérite de M Ibrahima Sall est d’avoir, précisément, écrit une histoire dépassionnée, démystifiée et démythifié de la Mauritanie ; ni à charge, ni à décharge : une histoire qui se veut  au service exclusif des faits, qu’un minutieux et persévérant travail de plusieurs années a rigoureusement établis  pour redonner à la « Mauritanie du sud » - qui occupe une place si marginale dans l’historiographie mauritanienne - toute la place qui lui échoit, en toute justice.
Une autre qualité du travail de M Sall : sa thèse n’appréhende pas l’histoire du point de vue des « groupes dominants », une précision qui n’est pas superflue, eu égard à une certaine  tendance  d’écrire l’« histoire » …. En interrogeant les archives, il révèle la collaboration de beaucoup d’aristocrates (singulièrement les « Torobbé », groupe social auquel il appartient), sans ménager sa propre parentèle : cela ne crédibilise que d’autant plus le propos de M Sall, qui va à contre-courant de ces pages épiques prises pour de  l’« histoire », dont on abreuve si ingénument les Mauritaniens pour les divertir

* Oualata, le secret de la Mauritanie heureuse  est une généreuse utopie : le rêve d’une Mauritanie plurielle, harmonieuse et prospère, qui est aux antipodes de celle qui est allée au-delà de toutes les limites de la décence et de la mesure, dans la concussion comme dans l’humiliation de son prochain. A contre-courant d’un certain «abrutissement » idéologique qui a pris le parti de défendre cette Mauritanie-là,  le professeur Ely Moustapha a fait le choix de la satire politique, de l’humour grinçant et de l’éclat de rire dissonant et chicanier, qui font voler comme un château de cartes toutes les  grandes supercheries  liées aux mythes fondateurs de la Mauritanie.

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