"Nor earth, nor sea, nor cloudless sky -But only spirit wandering wideThrough infinite immensity".
Et ce profond désir de confondre l'esprit et l'espace, d'être partout et nulle part, de se mouvoir et d'être libre, de sortir de ses limites, est pourtant moins désincarné que nombre de nos vies. Le désir, même celui de de se dissoudre dans l'air et le vent, reste le désir. Les poèmes de solitude d'Emily sont des poèmes ailés.Parce qu'elle témoigne, non pas seulement d'elle-même, mais de ce qu'elle voit, parce que la plainte côtoie la célébration. C'est la tristesse qui y a sa place, non le négatif, cette déformation contemporaine qui consiste à clamer sa lucidité, sa certitude que tout est insuffisant, qu'être au monde est une posture poétique dépassée, l'éloge une naïveté de jeune artiste. Emily Brontë déplore sa solitude, mais elle l'apprivoise, ses vers exhalent le manque mais non l'insatisfaction, ni même l'insuffisance.
"It will not shine again,Its sad course is done:I have see the last ray waneOf the cold bright sun." (1838)
"Lonely at her window sittingWhile the evening stole away,Fitful winds foreboding flittingThrough a sky of cloudy grey." (1838)
Emily Brontë chante le manque, qui reste toujours lié au désir. Le vide est absent de son oeuvre, car le vide est le compagnon du cynisme, de l'absence, du désenchantement, de l'indifférence. "Je suis lucide, donc désenchanté" peuvent clamer ceux qui intègrent l'expérience de la douleur avec amertume. Emily Brontë aurait pu écrire "Je suis lucide, donc j'imagine, donc je vis, donc j'écris, donc je chante". Les "donc" sont même de trop, elle aurait simplement parlé d'une évidence: "je manque, je vis, je sens, j'imagine, je désespère". Cet abandon - non sa complaisance- à ce qui est fait sa plus grande force et celle de ses poèmes. La poétesse a réussi ce passage de l'enfance à l'âge adulte qui est celui de l'expérience de la solitude, du manque, de la perte. Elle est de celles qui sont parvenues à dire oui au monde, au vent, à la terre, malgré cette expérience-là. Elle n'est pas de ceux qui se pensent grandis d'avoir "compris" la vie, mais de ceux qui sortent grandis de chaque jour. Pour Emily Brontë, traverser la solitude et la douleur ne conduit qu'à chanter, même si ce chant est mélancolique, il est tendre. Son intensité n'est pas celle de l'éclair, elle est voisine de celle du vent ou, selon l'expression consacrée, de celle de l'eau qui dort. Son regard est grave mais délicat:
"The damp stands on the long green grassAs thick as morning's tears," ("Mild the mist upon the hill", 1839)
Tous les extraits sont tirés de Poems of solitude, Foreword by Helen Dunmode, Hesperus Poetry, London, 2004. (En anglais)