Réhabilitation

Par Arielle

Maman nous a transmis l’amour du bon et du beau. Eduquée dans un certain luxe, habituée à un train de vie de haut niveau, fille de fourreur, issue d’une famille de maires, de père en fils, l’argent doit tourner. On n’économise pas, non, on fait des affaires, on dépense sans compter, on fructifie et roule la vie ! Mais il ne faut pas être freiné brutalement, la roue doit tourner un peu comme aux jeux de hasard, l’histoire doit perdurer, les trésors amassés se doivent être éternels. Et pourtant, déchue par les siens suite à un coup de foudre amoureux, il a bien fallu trimer, repartir de zéro, ne pas perdre son honneur.

Maman a choisi la voie du cœur, s’est reconstruite avec papa malgré les obstacles, assumant dans le même temps les bêtises de son frère car chez les gens dits « bien nés », il y a toujours une brebis galeuse, quelqu’un qui se révolte contre les idées reçues ou qui profite sans états d’âme et finit par tomber dans la délinquance. Tonton Pierre roulait et amassait mousse, n’hésitant pas à dépouiller sa propre sœur, jouant des sentiments de sa mère. Le pauvre avait fait la guerre d’Indochine et était forcément excusable ! Il fit hypothéquer la grande maison près du ris bas, il alla jusqu’à détourner le premier salaire de sa nièce et disparut aux Amériques.

Maman travaillait dur et commençait à être reconnue sur la place de Paris. Elle était replongée dans ce monde de requins, là où on fait fortune, là où on prend des risques. C’était sa vie, elle aimait être pulsée par ses origines.

On ne la voyait plus beaucoup. Cette quête d’argent prenait le pas sur l’affection mais il y avait cinq fillettes à nourrir et maman voulait que nous gardions ce titre de « jeunes filles de bonne famille ». Elle embaucha donc des gens de maison pour y veiller mais rien ne pouvait remplacer l’amour maternel. Pognon : roi des cons.

Puis un dimanche, le téléphone noir nous annonça une nouvelle très sombre. En un quart de secondes, maman était devenue veuve. Elle redoubla d’efforts et de courage jusqu’au jour où sa mini Austin fut happée par une voiture lancée à grande vitesse. Sur son lit d’hôpital et malgré sa trachéotomie, elle parvint à nous faire entendre qu’elle avait prit une assurance vie suffisamment cossue pour nous permettre de bien démarrer dans cette jungle.

Seulement voilà ! La dernière échéance n’avait pas été payée et nous étions cinq enfants mineures, orphelines désormais, sans un kopeck en poche. Les comptes s’arrêtaient là, faisant apparaître un passif plus lourd que l’actif et nous avons dû renoncer à l’héritage pour ne pas être assaillies par les créanciers. Dans le milieu des affaires, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’argent. Ca passe d’une main à l’autre, ça s’en va et ça revient, ça s’appelle des transactions mais on n’a pas droit à l’erreur : celui qui quitte le jeu est perdant.

Ma sœur aînée se paya le culot de prendre la relève et sauva l’assurance vie puis tenta de clôturer tous les dossiers en cours. J’avoue qu’elle se démenait comme un chef ! Chez nous, on ne baisse pas les bras. Elle fut, elle aussi, saisie par le besoin de richesses, elle chopa ce fichu virus qui vous incite à faire du blé, coûte que coûte, pour ne jamais se trouver dans la déroute et pouvoir afficher un certain standing. Plus les années passaient et plus elle voyait des dollars dans nos yeux. Elle nous prenait pour une tirelire dans laquelle elle pouvait puiser jusqu’à nous ronger et nous envoyer au plus bas des bas fonds.

C’était infernal ! Plus nous tombions dans la misère et plus l’amour de l’oseille nous sifflait aux oreilles. J’en ai, à ce jour, des acouphènes. Pognon : destruction. Pour qui, pour quoi ? Pour pouvoir dire que nous sommes de bonne famille.

C’est une lutte sans fin, une utopie qui nous laisse sur notre faim, une éducation à ne surtout pas renier, un honneur à afficher, une réhabilitation à trouver.