Pourquoi Jésus est-il venu dans le monde ? Il est venu pour sauver le monde, englué dans le péché, pour payer le prix de nos péchés, et pour réintroduire chaque membre de la famille humaine dans l’amitié avec Dieu.
Ce sont des choses que nous savons, mais qu’il ne faut jamais perdre de vue. Ce qu’il ne faut pas oublier non plus, c’est que Jésus ne veut pas faire tout le travail tout seul. Comme le dit saint Augustin, Dieu nous a créés sans nous, mais il ne veut pas nous sauver sans nous. En d’autres mots, il veut accomplir l’œuvre de notre salut avec notre coopération. Chacun de nous, dès l’instant où nous avons été baptisés, a été appelé par Dieu pour être co-missionnaires avec Jésus.
Voilà pourquoi, dans la première lecture, le prophète Isaïe entend Dieu lui poser la question :
« Qui enverrai-je ? Qui sera notre messager ? »
Dieu veut que nous participions à sa mission de salut. Il nous offre l’occasion de nous unir à lui pour construire le Royaume éternel. Tout ce que nous avons à faire, c’est de dire, avec Isaïe :
« Moi, je serai ton messager : envoie-moi. »
Nous trouvons le même message dans la rencontre de Jésus avec ses Apôtres dans l’évangile de ce dimanche. D’abord, Jésus demande à Pierre de lui prêter son bateau, pour avoir un meilleur podium pour s’adresser à la foule nombreuse. Ce bateau, c’est le gagne-pain de Pierre, c’est sa vie. Jésus veut encore parler aux foules désespérées, découragées, d’aujourd’hui, depuis nos bateaux, par les paroles, les actes et les exemples de notre vie.
Et puis, après la pêche miraculeuse, Jésus invite Pierre à le suivre et à devenir « pêcheur d’hommes », co-missionnaires. La mission du Christ est de sauver le monde, mais il n’est pas comme Lucky Luke ("a lonesome cowboy" – un cowboy solitaire). Il a voulu s’associer une armée de volontaires, de co-missionnaires : Pierre, Jacques, Jean … et chacun de nous.
C’est une des raisons pour lesquelles nous disons dans le Credo que l’Eglise est "apostolique". Le mot "apôtre" vient d’un mot grec qui veut dire "envoyé“. Les Douze ont été envoyés dans le monde pour être missionnaires avec Jésus. Ils étaient les premiers mais pas les seuls. L’Eglise tout entière, y compris chacun de nous, est apostolique. Voici le commentaire du Catéchisme de l’Eglise catholique :
863 Toute l’Église est apostolique en tant qu’elle demeure, à travers les successeurs de S. Pierre et des apôtres, en communion de foi et de vie avec son origine. Toute l’Église est apostolique en tant qu’elle est "envoyée" dans le monde entier ; tous les membres de l’Église, toutefois de diverses manières, ont part à cet envoi. "La vocation chrétienne est aussi par nature vocation à l’apostolat". On appelle "apostolat" "toute activité du Corps mystique" qui tend à "étendre le règne du Christ à toute la terre".
Un des défis de l’apostolat chrétien est que le Christ ne suit pas toujours notre logique humaine. Par exemple, la co-patronne des missions est une religieuse qui a vécu cloîtrée pendant plusieurs années, et qui, de plus, est morte très jeune. Sainte Thérèse de Lisieux n’a pas parcouru le monde pour prêcher l’évangile. Alors pourquoi a-t-elle été proclamée patronne des missions ? Parce que son cœur était débordant d’esprit missionnaire ; parce qu’elle priait pour les prêtres missionnaires et qu’elle offrait des sacrifices pour leur travail ; parce que la logique de Dieu n’est pas toujours la même que notre logique humaine.
Jésus a révélé à sainte Thérèse que plus de 20.000 âmes étaient associées à sa vocation. Si elle demeurait fidèle à la volonté de Dieu dans sa vie, en dépit de toutes les difficultés et les tentations, elles en profiteraient toutes ; sinon pas. Aux yeux des médias et du monde, sainte Thérèse était insignifiante, mais aux yeux de Dieu, elle était précieuse.
Nous pouvons noter la même étrangeté de la logique divine à l’œuvre dans la vocation de saint Paul. Lui-même admet, dans la deuxième lecture de ce jour, que le choix de Dieu le concernant n’était pas un choix évident pour le poste d’apôtre. En fait, il a été le persécuteur le plus acharné de l’Eglise. Mais c’est lui que Dieu a choisi, « un avorton », un co-missionnaire né de manière anormale, pour devenir un grand saint.
Regardez aussi la logique à l’œuvre dans la rencontre entre Jésus et Pierre dans l’évangile de ce jour. Jésus dit à Pierre de s’éloigner du rivage et de jeter les filets pour prendre du poisson. Pierre est un pêcheur professionnel, un "expert". Lui sait très bien que ce n’est pas le bon moment pour pêcher du poisson, et il sait aussi qu’il n’y avait guère de poisson ce jour-là, puisqu’ils ont passé toute la nuit sans rien prendre. Mais Pierre fait un acte de foi, il permet à la logique de Dieu d’agir, et il obéit à l’ordre bizarre du Seigneur. Résultat : c’est la pêche la plus mémorable de toute sa carrière professionnelle.
Suivre la logique de Dieu et accepter d’être associé à la mission du Christ, c’est un vrai défi, mais ça vaut toujours la peine.
Pourquoi donc Jésus veut-il avoir besoin de nous pour sauver le monde? Ce n’est pas parce qu’il était incapable de le faire tout seul. Après tout, en tant que Dieu, il est tout-puissant. La raison est plutôt qu’il savait que c’est nécessaire pour nous. Nous avons besoin d’une mission, d’un but dans notre vie qui dépasse les contingences de la vie terrestre et qui nous enracine dans l’éternité. Jésus sait que nous avons besoin de transcendance, parce que nous sommes créés à l’image de Dieu et à sa ressemblance. Nous ne pourrons nous épanouir que si nous acceptons son invitation à être des associés actifs à sa mission au service du Royaume. Il y en a parmi nous qui ont déjà accepté cette invitation, mais peut-être pas encore aussi pleinement qu’il le faudrait. Et si c’est le cas, il est probable que vous ne faites pas encore pleinement l’expérience de ce que cela veut dire que d’être coopérateurs du Christ.
Qu’est-ce qui vous retient ? Peut-être est-ce cet élément qui est la raison principale pour laquelle il y a si peu d’ouvriers dans la moisson. Et cet élément, c’est l’humilité. Isaïe n’a pu entendre l’appel de Dieu et il n’a eu la grâce d’accepter qu’après avoir reconnu qu’il en était indigne, qu’il était « un homme aux lèvres impures ».
Pierre, de même, n’a pu comprendre ce que le Christ attendait de lui et il n’a pu avoir le courage de le suivre, qu’après avoir découvert et reconnu son propre péché :
« Seigneur, éloigne-toi de moi, disait-il au Seigneur après la pêche miraculeuse, car je suis un homme pécheur. »
Dans la deuxième lecture de ce jour, saint Paul montre que lui aussi a dû apprendre la leçon de l’humilité :
« Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre, puisque j'ai persécuté l'Église de Dieu. »
Mais ensuite, il ajoute :
« Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu ».
C’est cette même grâce de Dieu qui vient à nous au cours de cette Messe, et cette grâce peut opérer en nos vies la même transformation, en dépit de toutes nos limitations, si nous le voulons bien.