Sarkozy a peur
Nicolas Sarkozy est un homme qui aime que l'on croit qu'il travaille beaucoup. Aussi, quand son agenda «officiel» présidentiel apparaît plutôt vide, on peut mesurer l'ampleur de son désarroi. Cette semaine fut exemplaire: deux petits rendez-vous lundi, un voyage en Corse le mardi, un conseil des ministres franco-français et un court rendez-vous avec le prince-héritier du Qatar mercredi; un conseil franco-allemand et un «entretien de travail» avec le ministre des affaires étrangères chinois (y-a-t-il des entretiens «de détente» ?), et, vendredi, Nicolas Sarkozy n'avait qu'un maigre entretien à midi avec les autorités andorranes. A 13 heures, le monarque pouvait partir en week-end jusqu'à lundi matin, où son premier rendez-vous n'avait été calé prudemment qu'à midi... On imagine Franck Louvrier s'échiner à trouver comment «remplir» l'agenda présidentiel.
Pour Sarkozy, cette semaine devait être diplomatique. Comparer les déclarations d'une semaine à l'autre - ne tentez pas l'exercice sur plus d'un mois - est révélateur de son inconstance. A chaque discours, Sarkozy trouve un nouveau sujet p-r-i-o-r-i-t-a-i-r-e. Un psy dirait qu'il a du mal à prioriser. Un observateur étranger dirait qu'il a du mal à se concentrer. Un électeur déçu dirait qu'il n'a plus d'idées.
Lundi, sa rencontre avec le dictateur turkmène Gourbangouly Berdymouhamedov fut peu commentée par les communicants de l'Elysée. Au Turkménistan, ne vous avisez pas de critiquer le président élu à vie. C'est l'une des dictatures les plus fermées du monde, souvent comparée à la Roumanie de Ceaucescu. Culte de la personnalité, enfermements ou disparitions d'opposants, presse muselée, 60% de chômeurs, 25% de pauvres, tout y est. Mais le pays est riche en gaz. Lundi, notre Monarque élyséen a signé 6 contrats avec son homologue turkmène. Human Right Watch appelle cela «la diplomatie silencieuse». La Sarkofrance hurle contre l'Iran ou les talibans Afghans, mais signe ses contrats avec le Turkménistan. Où était passé le Sarkozy qui s'adressait, le soir du 6 mai 2007, «à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures» ? On le cherche toujours.
Mercredi, c'était au tour du fiston de l'émir du Qatar de recevoir les honneurs élyséens. Cheikh Tamim al-Thani, revenait de Téhéran, où il avait rencontré un autre de ses clients, le président Mahmoud Ahmadinejad. L'Iran partage le gisement gazier de Doha avec le Qatar. Sarkozy attendait des nouvelles de Clotilde Reiss, la jeune française détenue puis retenue en Iran depuis plus de 8 mois.
Jeudi, Nicolas Sarkozy recevait en grandes pompes Angela Merkel et son gouvernement, pour un conseil des ministres que le président français voulait décisif. Face à une Europe en panne sur tous les sujets, il faudrait relancer le couple franco-allemand. La mise en scène fut impeccable, avec son défilé de ministres des deux pays, deux par deux, dans la cour de l'Elysée, devant les caméras et photographes. Mais Sarkozy et Merkel ont commis une triple erreur : primo, le catalogue de 80 mesures "concrètes" dévoilé jeudi n'est qu'un fourre-tout de belles intentions. 80% des 80 annonces sont des voeux pieux, sans engagements de moyens ni obligation de résultat, une simple succession de «nous voulons», «nous intensifierons», ou «nous développerons». On évoque la paix, la croissance et le climat. Au mieux, on se promet de créer 200 classes bilingues. En France, on parle surtout de fermetures de classes...
Deuxio, l'Europe y est reléguée au second plan. Elle doit se plier à leurs décisions, et pas l'inverse. Elle n'est qu'un cadre de travail ou une incantation. On se croirait revenu en 1950. Dans leur conférence de presse commune, Sarkozy et Merkel trompent l'assistance : ils annoncent leur «volonté de mettre l’Allemagne et la France au service de l’Europe et d’une nouvelle régulation dans le monde». Mais où sont les propositions ? Ils ne soutiennent pas l'Europe, ils l'encadrent en fonction de leurs objectifs bi-nationaux. La présidence européenne n'est pas évoquée une seule fois.
Tertio, les deux dirigeants n'ont pas commenté l'évènement international de la semaine: les marchés financiers attaquent l'euro, inquiets des déficits publics européens. Ceux-là même qui ont failli coulé, et entrainé dans leur chute les épargnes des ménages et des entreprises occidentales, décrochent à nouveau. Portugal, Grèce et Espagne sont considérées comme des maillons faibles de l'union monétaire européenne. L'Espagne affiche une dette publique de 55% de son PIB. En France, l'endettement est prévu à 86% l'an prochain, dans la note transmise par le gouvernement Fillon-Sarkozy à Bruxelles lundi dernier. Jeudi, dettes, déficits ou endettement étaient des réalités oubliées du discours présidentiel. Sarkozy a peur. L'équation financière de sa politique est impossible.
L'UMP a peur
Mardi, Nicolas Sarkozy s'est rendu en Corse. Il est en campagne. Il faut sauver l'UMP en Corse. Oublié le mensonge électoral du 25 janvier dernier, quand il déclarait à Laurence Ferrari sur TF1 que ce n'était pas «le rôle du président de la République» que de s'impliquer dans la campagne. L'ensemble du gouvernement est mobilisé. Il multiplie les annonces, comme ce coup contre les Fonctionnaires pour rassurer son électorat conservateur. Lundi, la révélation d’un projet de décret permettant le licenciement d’un fonctionnaire sans affectation après trois refus de postes (sans conditions), a effectivement fait l’effet d’un choc. L’application du décret est annoncée pour avril ou mai. Mercredi, Chantal Jouanno (Ecologie) et Bruno Le Maire (Agriculture) trouvent 134 millions d'euros contre les algues vertes, pour créer une filière de ramassage de ces algues toxiques qui prolifèrent en Bretagne à cause de la pollution des sols par l'agriculture intensive. Quarante-huit heures après la publication d'un rapport accablant sur le mal-logement par la Fondation Abbé Pierre, leur collègue Benoist Apparu déniche un budget de 4,7 milliards d'euros d'aides en 2010 (versus 4,2 en 2009 et 3,7 en 2008), à travers le versement de 624 millions d'euros aux organismes HLM au titre d'aides à la pierre et 4 milliards sous forme d'aides et d'exonérations fiscales (TVA, taux d'intérêts préférentiels et taxe foncière). On oublierait presque que les aides directes ont été réduites de 25% en deux ans par le gouvernement Sarkozy ! En Corse, Sarkozy a aussi trouvé des milliards (deux pour être exact), dans sa malette de candidat permanent.
Le camp présidentiel a la trouille, la peur de perdre ces élections, et surtout la suivante, la grande, la vraie, celle de 2012. Un sondage annonce Dominique de Villepin à 10% des intentions de votes. Dominique Bussereau dérape contre Ségolène Royal et les harkis en Poitou-Charente. Valérie Pécresse et Eric Raoult se déchirent en Ile-de-France. Mercredi, Michèle Alliot-Marie a écrit une lettre à Brice Hortefeux d'une rare violence. L'assassinat d'un couple de personnes âgées avait conduit Brice Hortefeux à annoncer un prochain durcissement de la loi contre les auteurs de crimes contre les personnes âgées. L'ex-ministre de l'Identité Nationale s'est souvenu que deux tiers des plus de 50 ans avaient voté Nicolas Sarkozy en 2007. Il a appelé son plan «Tranquillité Senior». La Garde des Sceaux n'a pas apprécié qu'on marche ainsi, à tort, sur ses plates-bandes: «Les propositions en matière pénale sont faites soit par le ministre de la Justice, soit par les parlementaires» a-t-elle recadré, le week-end dernier. Puis, mercredi, elle balance sa lettre. Le texte de sa missive a été publié par Le Parisien, jeudi 4 février. Elle accuse son collègue d'être inefficace dans la lutte contre les violences dans les stades, et notamment le «nombre insuffisant de procédures faisant suite à des interpellations à l'issue des matches». Le «cher Brice» a répliqué, lui aussi par écrit, le lendemain. Et il accuse les services de sa collègue de la Justice de laxisme... L'ambiance est bonne au gouvernement !
La peur des retraites
Avec la réforme des retraites, le président français pense qu'il a une belle carte à jouer. Depuis des années, les gouvernements sont parvenus à culpabiliser et inquiéter les Français. La France a peur pour ses retraites. Personne n'y comprend rien, et personne ne prend la peine d'expliquer. La peur est un accessoire électoral toujours très efficace. Et les retraites sont un sujet qui peuvent, selon Sarkozy, placer la gauche en difficulté, après le récent cafouillage de Martine Aubry. Le débat démarre mal. Le camp présidentiel répète à l'envie que le coût des retraites est trop lourd, qu'il faudra allonger l'âge de départ à la retraite, que les Fonctionnaires devront s'aligner sur le régime privé, et qu'un consensus national est nécessaire. Il faut faire flipper l'électeur !
L'âge de départ à la retraite n'est pourtant pas le premier sujet. Qu'on parte à 60 ou 65 ans est une question inopérante si l'on omet de discuter de l'assiette et des modalités de calcul de cette solidarité nationale. L'espérance de vie est liée aux conditions de travail, mais la pénibilité est souvent le point d'échec des négociations. Pour financer les retraites, il faudra augmenter les cotisations, leur assiette (aux revenus financiers) et les salaires, trois pistes rarement évoquées à droite. Pensez-vous, il faudrait revenir sur les niches fiscales créées depuis 2002 ! Enfin, notre système de retraites ne tient pas compte des précarités nouvelles, des périodes de chômage, de temps partiel, des changements de postes et de filières qui sont le lot commun d'une majorité de Français. Mais de tous ces sujets, on ne parle pas, ou peu.
La semaine prochaine, Nicolas Sarkozy poursuivra sa campagne... dans les campagnes, avec un déplacement, mardi, «sur l’avenir des territoires ruraux». Gageons que cette fois-ci, ses communicants lui auront écrit un vrai nouveau discours. La dernière fois qu'il s'était exprimé sur le sujet, on avait découvert qu'il s'était contenté de répéter des paragraphes entiers d'une précédente allocution... La réflexion est souvent paralysée par la peur.
Ami Sarkozyste, as-tu peur ?