de Philippe Marlière Maître de conférences à Londres
Dans une interview accordée à Marianne, Jean-Luc Mélenchon a commenté la candidature aux régionales d’Ilham Moussaïd. Cette jeune femme voilée est candidate sur la liste NPA du Vaucluse. Pour le sénateur, cette candidature, ce « n’est franchement pas une bonne idée » et « tout ça est régressif ». Bloggeur sur Rue89 et militant au NPA, Philippe Marlière, lui répond.
Cher Jean-Luc,
Nous avons eu droit à la grand messe sur l’identité nationale des sécuritaires Besson-Hortefeux (un « débat » pour attrape-nigauds ou pour fachos de tout poil). Puis, ce fut au tour du couple Gérin-Raoult, les pieds-nickelés de l’ordre républicain (et « éradicateurs » de burqas). Aujourd’hui, nous enchaînons avec la chasse à la candidate « islamiste » du NPA. Manque de pot, cette fois-ci, c’est toi qui lance la meute contre Ilham Moussaïd. Que tu le fasses à partir d’une feuille réactionnaire (la mal-nommée Marianne) ajoute encore au trouble.
Tu dis que cette candidature est « régressive ». Qu’en sais-tu ? Connais-tu la candidate ? As-tu discuté avec elle de ses opinions politiques ? Qu’est-ce qui te permet de douter de son engagement féministe, laïque et de gauche ?
Tu affirmes que cette candidature est « immature ». Pourquoi ? En quoi le choix d’une femme dont les parents sont issus de l’immigration serait « immature » ? Cette initiative que tu qualifies subtilement de « racoleuse » vise en réalité à présenter une jeune femme d’origine populaire et qui est politiquement active dans sa région. Où est le mal ?
En quoi Ilham Moussaïd est-elle une candidate religieuse ?
On peut opposer cet acte pleinement politique à la pitoyable drague des « minorités visibles » par les partis de gauche (un terme hypocrite et impropre, car on sait bien que l’on s’intéresse ici au caractère ethnique des personnes). Dans ce cas, contre la mise en scène de la couleur sur une liste, des partis de la gauche laïque cèdent quelques strapontins à des minorités normalement invisibles. Qu’as-tu à dire de cette tartufferie électorale ?
Plus fort encore : tu affirmes que le NPA « entraîne le débat sur le terrain religieux ». En quoi Ilham Moussaïd est-elle une candidate religieuse ? Rien dans son discours public de militante ne te permet d’étayer cette accusation gratuite.
Allons, cessons de tourner autour du pot : ce qui te pose problème, ce n’est ni la candidate, ni ses origines ethniques ou sociales, mais le fait qu’elle porte un foulard. Un foulard ! Quelle horreur ! Et te voilà déclinant le prêt-à-penser soi-disant laïque : le foulard, c’est mal, ce n’est pas républicain, ce n’est pas progressiste, etc.
Tu es l’un des rares hommes politiques français qui lit, réfléchit, débat, tente de comprendre et d’interpréter le monde tel qu’il est. Quelle déception de te retrouver attablé au café du communautarisme laïcard. Le foulard est un « signe de soumission patriarcale » assènes-tu. Qu’en sais-tu ?
Le foulard n’a intrinsèquement rien à voir avec cela. Dans certaines situations, une femme voilée peut en effet être soumise à la domination masculine, mais c’est loin d’être une règle générale. Inversement, nombre de femmes en apparence « libérées » et « modernes » vivent sous le joug tyrannique de conjoints.
La domination patriarcale s’inscrit avant tout dans les rapports hommes-femmes au quotidien. Une femme qui a librement décidé de porter le voile et qui mène une existence autonome sera toujours plus libre que celle sans voile qui, du foyer au bureau, sera cantonnée à des rôles mineurs, parce que femme.
Cette laïcité est celle de l’intolérance et du refus de la différence
Nous avons toi et moi longtemps appartenu au Parti socialiste, où il est de bon ton de stigmatiser les « voilées ». C’est dans ce parti que j’ai pu observer les manifestations les plus machistes et misogynes, sans que cela ne suscite aucun tollé chez les éléments masculins : blagues sexistes, intimidations physiques et, last but not least, infractions délibérées à la loi sur la parité. C’est drôle, dans ces cas-là, personne ne s’élève contre la « domination patriarcale ».
Tu affirmes enfin qu’Ilham Moussaïd « divise » et qu’il lui faut « tirer les leçons de l’Histoire de France (…) parce que nous avons connu trois siècles de guerre de religion ». Si ce n’est pas un dérapage de ta part, cela y ressemble de près.
En quoi le foulard d’Ilham serait-il comparable à nos guerre de religions, à la déportation des juifs par la police française ou encore à la « mission émancipatrice » laïco-chrétienne en Algérie ? Il faut garder le sens de la mesure, Jean-Luc !
La laïcité qui décide comment il faut s’habiller sur la voie publique, qui prétend interpréter le sens que l’on donne à son apparence physique et qui exclut les têtes (et les voiles ! ) qui dépassent, ce n’est pas la laïcité : c’est l’intolérance et le refus de la différence. Jean-Luc, laisse cela aux Besson, Hortefeux, Gérin et Raoult.
Avec mes salutations amicales et navrées.
http://bellaciao.org/fr/spip.php?article97933