La semaine dernière, malheureusement prise aux pièges d'un emploi du temps fatal où les journées ne font que 24 heures, je n'avais pas eu l'occasion de revenir sur le troisième épisode de cette saison 4. Non qu'il ait été moins intense que le précédent : j'ai trépigné, applaudi, crié devant mon petit écran, comme seul Big Love parvient à me faire réagir. Reste que, avec l'épisode de dimanche dernier, cela semble se confirmer que cette nouvelle ("si brève !" se lamente-t-on) saison entend reproduire le même schéma de construction que l'an passé : chaque épisode paraît marquer le franchissement d'un nouveau palier franchi, allant toujours plus loin dans l'intensité, les émotions et l'extrêmité de certaines situations qui laissent le téléspectateur sans voix, entre effarement devant le contenu dépeint et émerveillement devant le chef-d'oeuvre s'animant devant lui. Si je suis vite à court de superlatifs lorsque j'évoque Big Love, il y a quelque chose d'incroyablement grisant à suivre, chaque semaine, une série qui repousse quotidiennement ses limites ; qui ne capitalise pas sur ses acquis, mais qui continue de surprendre, réussissant à exercer une véritable fascination sur le téléspectateur.
Si l'on devait condenser en une simple phrase la portée de cet épisode 4, je pense que cela serait celle-ci : la fin des dernières illusions de légitimité de Bill. Le personnage a toujours été ambitieux, doté d'une capacité hors du commun à interpréter les faits à son avantage et à donner l'impression de porter le poids du monde sur ses épaules. Mais, bien plus que les autres hommes de Juniper Creek, Bill est, en bien des aspects, plus dangereux, plus pernicieux. En effet, ce qui le caractérise, c'est son hypocrisie. A la différence de J.J. ou Roman, par exemple, qui assument et revendiquent ce qu'ils sont, Bill se cache derrière une fausse apparence de bon père de famille, mettant en scène sa respectabilité et sa responsabilité, alors que sous la surface, il conserve et applique, plus ou moins ouvertement, les mêmes principes de vie qui ont cours dans la communauté.
Le fait qu'il régisse de façon centralisée et autoritaire sa petite famille a toujours été une des bases de la série. Sa dernière lubie, se lancer en politique, a parfaitement illustré la façon dont les décisions se prennent chez les Henricksons, laissant les épouses interdites et Bill n'attendant que leur soutien. Cependant, avec ce quatrième épisode, nous sommes passés à un degré supérieur. En effet, il s'agit de faire face aux conséquences du "qui pro quo" ayant eu lieu au cours de l'émission de Margene, où Ben a été présenté comme son petit ami. Entre regards de travers, gênes non formulées, cette storyline est vraiment bien bien traitée. Plus que l'inceste sous-jacent, ne touche-t-on pas là à la limite même de la vie polygame, à cette réification des femmes que cela entraîne ? Le dîner où Nicky, ignorant ce dernier développement, s'énerve toute seule contre le projet de J.J. d'épouser sa mère, offre un parallèle symbolique particulièrement révélateur de ce caractère très malsain : l'ex-mari qui épouse son ancienne belle-mère, est-ce bien différent de la situation de Ben et Margene ? L'illusion de civilisation et de modernité de la famille n'achève-t-elle pas de s'effriter toute seule, face à la réalité ?
Car les scénaristes nous conduisent bien plus loin dans ces eaux dangereuses. Bill apprend l'existence du baiser entre les deux jeunes gens, et soudain, tout le flirt des dernières saisons revient dans les mémoires. Initialement, Ben présente une version des faits où il est le seul responsable, cherchant à dédouaner Margene. Cette même Margene qui lui a pourtant avoué des sentiments la nuit auparavant. Si ce n'est qu'un bénin crush d'adolescent, Bill n'explose pas tout de suite ; il se contente de prononcer des sentences avec son air habituel de supériorité. Mais Margene ne peut se résoudre au mensonge et dans une scène bouleversante, où Ginnifer Goodwin est absolument magistrale, la jeune femme avoue qu'elle est celle qui a initié le baiser. C'est alors que la perspective de Bill change complètement et qu'il révèle sa véritable nature. Il pouvait se montrer miséricordieux avec un gamin qui lui enviait ses conquêtes. Cependant, la confession de Margene érige soudain Ben en rival. Tous les schémas d'éducation assimilés dans sa jeunesse reviennent à la surface ; et Bill ne fait que les reproduire, sans recul et sans même pleinement les assumer à haute voix. La scène finale contient, en ce sens, une violence implicite inouïe. Ces quelques brèves phrases, prononcées sur un ton anodin, échangées entre le père et le fils, sont presque effrayantes. On perçoit pleinement le fossé qui les sépare désormais. En une économie de mots, sans en faire trop, Big Love nous offre une des scènes les plus glaçantes qu'elle nous ait jamais proposé. Magistral.
En parallèle, l'intrigue de Sarah permet de rappeler un autre drame de la saison passée, alors qu'elle s'occupe du bébé de l'Indienne renversée par sa mère dans l'épisode précédent. Plus que le contenu de la storyline, touchante mais assez convenue, cette histoire permet surtout d'apprécier les bases bien plus saines et salutaires sur lesquelles est fondé le mariage de Sarah. Face à Bill qui apostrophe son mari pour qu'il ordonne à sa femme de rendre le bébé, le jeune homme remet magnifiquement son beau-père à sa place en soulignant que ce n'est pas ainsi que fonctionnent ses rapports avec son épouse. Instant jubilatoire pour le téléspectateur qui savoure la prise de distance ainsi imposée à Bill (*j'ai applaudis devant ma télévision*). Je suis vraiment contente que Sarah ait trouvé un mari qui la mérite, loin de la reproduction des modes de vie de Juniper Creek.
D'autant que le réquisitoire à charge contre Bill ne s'arrête pas là. Face à ses ambitions politiques, se dresse un adversaire dangereux qui menace de les exposer comme polygames, avant même l'élection. Pour cela, des services financiers sont même envoyés à Home Plus pour faire une vérification des comptes. Ils y descellent une anomalie : la couverture d'assurances des autres épouses non-officielles et de leurs enfants. Cette preuve qu'il y a des polygames à Home Plus va être révélée au public. C'est alors que Bill, avec une solennité et une capacité à manipuler que n'aurait pas renié Roman, demande à Doug de se sacrifier, pour sauver sa propre image. Doug, l'ami fidèle, qui a tant dû subir pour suivre les différentes lubies de Bill, accepte de détourner les regards en révélant sa propre situation, pour épargner Bill qui prouve encore une fois à quel point il est prêt à tout pour satisfaire ses ambitions personnelles. N'envoie-t-il pas, sans sourciller, Nicky en infiltration dans le camp politique adverse, après les sermons auxquelles elle avait eu droit, l'an passé, lorsqu'elle avait fait la même chose pour son père ?
Au-delà de ces lourdes réflexions sur la famille Henrickson - dont on se demande bien comment elle va pouvoir rester unie, tant tout apparaît si artificiel actuellement - , cet épisode 4 était encore une fois particulièrement dense, n'offrant aucun instant de répit. Les parents de Bill prouvent une fois de plus qu'ils sont incroyables, comme on les suit dans leur excursion frontalière pour chercher les oiseaux exotiques de Lois ; et la soeur de Cathy se révèle un peu plus comme un personnage à part entière qui, j'espère, continuera à être présente. J.J. bouge peu à peu ses pions, se tournant vers Joey et Wanda et laissant sous-entendre des ennuis prochains qui promettent... Et Big Love continue de passer à une allure folle ; chacune de ses scènes, de ses storylines, mériterait de se voir consacrer un passage de cette review. Je m'arrête ici arbitrairement, mais on ne le répètera jamais assez : cette série est un chef-d'oeuvre !
Bilan : Un épisode magistral, d'une intensité et d'une densité uniques, qui sonne comme un réquisitoire à charge contre Bill, en soulignant ses contradictions, mal dissimulées derrière une hypocrisie de façade qui ne peut que glacer le téléspectateur. Bill n'est pas un "bad guy" au sens classique du terme. C'est un personnage à part dans le monde du petit écran, car c'est sous les apparences, derrière une attitude auto-justificative constante et rassurante, que se cache ses réelles motivations.
Bref, Big Love est juste la meilleure série actuelle du petit écran. Au-delà de l'extrême satisfaction qu'elle procure, je ne peux m'empêcher d'être un peu chagrinée : pourquoi si peu de reconnaissance pour ce véritable chef-d'oeuvre ?
NOTE : 9,5/10