Mais non, je ne me laisse pas prendre. «Vulnerant omnes...». Si la formule est d'une précision glaçante, sa musicalité a tendance à me rassurer... Rien qu'en l'écoutant, je sais que l'inexorable beauté des choses triomphera de temps à autre, de même que le plaisir esthétique des mots, les merveilles surprenantes de la nature, les ressources insondables du génie humain... Même si on peut faire confiance à la bêtise humaine, à la paresse mentale, à l'aveuglement volontaire, à la force brutale, au mépris, pour leur mener la vie dure. Après, c'est une question de moral(e) : je me dis qu'un seul triomphe passager de la vertu (un bon mot, une chanson entraînante, une histoire captivante...) suffit à compenser le pesant amas des outrages du vice. Et qu'il me faut capter ces instants magiques, car ils portent en eux la réparation des offenses. Et que ces instants ne seront pas nombreux. Et qu'après les avoir savourés, il faudra attendre patiemment les suivants.
Je partage ces quelques citations avec vous, histoire de ne pas se laisser abattre, comme disait un expert, John Fitzerald Kennedy :
«Si je devais recommencer ma vie, je n'y voudrais rien changer ; seulement j'ouvrirais un peu plus grand les yeux» (Jules Renard).
«Mehr Licht !» (plus de lumière) : dernières paroles de Goethe. A prendre au sens premier («Ouvrez la fenêtre !»), ou plus encore au second, celui de la quête incessante du savoir, de la vérité, de la clarté...
«Laisse les morts enterrer les morts » (Jésus. Ben, si, pour une fois...) : Ne restons jamais prisonnier du passé.
«Timeo Danaos et dona ferentes» Celle-là, je l'adore : «Je me méfie des Grecs, même quand ils font des offrandes». Fortes paroles du prêtre Laocoon, prévenant en vain les Troyens de se méfier du cheval de bois abandonné perfidement au pied des murailles d'Ilion par ces faux-culs d'Athéniens. On connaît la suite. Au sens littéral (défions toujours de nos ennemis, même s'ils s'y entendent pour nous endormir), j'ajoute ma propre morale : laissez votre intuition vous guider. Quand vous flairez le mauvais plan, quand vous ne sentez pas les choses, ne les faites pas.
Ah, et aussi, tant qu'on est dans le latin : je préfère de loin le "vulgum pecus" (commun des mortels) au "servum pecus", le "troupeau servile" des courtisans et des flatteurs qu'on observe ici et là, suivez mon regard. Et enfin, cette jolie phrase d'un esthète (de l'art) : «Je me voyais chêne, je n'étais qu'un gland» (Frédéric Dard). Sans commentaire.