- Vous disiez ?
- Je disais : les appels des chats…
- Oui, les appels…
- Vous les entendez ?
- Oui, oui… et alors ?
- On dirait…
- Oui, on dirait…
- Des bébés..
- Oui, je sais, des bébés qui pleurent.
- Et alors ?
- Eh bien, comment dire… euh, en plein hiver, c’est troublant.
- Ah, et qu’est-ce qui est troublant ?
- Eh bien que ça vienne comme ça…
- Soyez plus précis, c’est agaçant à la fin !
- Six semaines après le début de l’hiver, vous ne trouvez pas ça étrange ?
- Non !
- Ah bon. Moi, si. On est en plein hiver et des signes d’une autre saison se manifestent là…
- C’est la chandeleur !
- Mais vous n’entendez pas l’espoir ?
- Euh, si, bien sûr !
- Ah bon. Donc juste après la glace, la neige, tout à coup, les chats !
- Et qu’ont-ils donc de si étonnant ?
- Ils sont l’espoir, le chant, non, pardon, l’espérance du chant. Pas encore le chant.
- Et alors ?
- Eh bien l’espérance du chant est plus belle que le chant.
- Expliquez-vous !
- Après, nous allons avoir un tel raffut, un tel tohu-bohu, que l’espérance de la vie est plus belle que la vie.
- Comme un bébé !
- Oui, après ils vont être adultes, mais là, à l’instant, quelle magnifique espérance !
- Enfin pour les parents, c’est une inquiétude.
- Non, pas pour les vrais parents. Ceux qui croient à la vie.
- Je les vois plutôt agacés d’entendre pleurer leurs enfants…
- Vous vous trompez ! Ils espèrent. C’est le meilleur moment.
- Revenons à l’hiver. Il se peut qu’il neige encore. Rien n’est joué.
- Nous aurons la glace en effet, mais quelque chose s’anime, on entend entre les roucoulements des tourterelles, comme un silence neuf. C’est le meilleur moment, vous dis-je.
- Le meilleur moment ?
- Oui, ce chant dit une attente si belle que jamais dans l’année nous n’aurons pareille fête.
- Vous voulez rire ! Mai et juillet, quelle joie !
- Pas du tout. Ce tintamarre de la belle saison est aveuglement.
- Surdité plutôt…
- Si vous voulez. Mais nous sommes avant. Tout l’espoir est ramassé dans ce temps heureux où les silences sont gros de notre vitalité.
- Vous préférez ce temps ?
- Oui. Rien de plus enivrant que cette absence de bruit constant. C’est comme une prière.
- Vous me faites sourire.
- Un futur non encore devenu, tout entier ramassé dans ces appels, puis le silence qui suit.
- Qu’a-t-il ce silence ?
- Il est pur. Ses harmoniques blanches résonnent en nous. La neige récente nous invite à rêver davantage. C’est un creusement fragile et doux.
- Je préfère le printemps et ses matins clairs.
- Vous ne comprenez rien à l’hiver. Cette page blanche.
- Vous aimez le paradoxe.
- Non, j’aime l’espoir. Pendant le réveil de la nature nous allons être absents à nous-mêmes. Là, dans le glacé encore probable, ces appels nous conduisent au plein cœur de notre vie.
- Parce que la vie est attente ?
- Oui. Les appels des chats sont nôtres. Le corps nous le dit. Attendons.
- Attendons, si vous voulez.