Imaginez Bandiagara au mois d'août. Une falaise ocre écrasée de chaleur, au pied une plaine sèche, ponctuée de baobabs. Des villages éparpillés, jamais très loin, au pied de la falaise. Dans les creux des roches, dans la falaise même, des murs écroulés, des greniers éventrés témoignent d'une occupation humaine très ancienne. Quelques champs de mil, croissant péniblement malgré le manque d'eau.
Des légendes circulent parmi les dogons, qu'ils racontent volontiers devant le feu de camp. Mensonges, contes pour touristes? Toute histoire contient une parcelle de vérité. Il paraît que dans la partie la plus à l'est de la falaise, la moins fréquentée, les sacrifices humains se pratiquent toujours. Ils disent avoir chassé dans les temps anciens des pygmées, premiers habitants de la région, qui vivaient dans les grottes. Ils y accédaient par des arbres très hauts qui poussaient au pied des falaises. Les dogons sont venus, ont coupé les arbres, les pygmées sont partis.
Au village de Sanga, situé dans une trouée de la falaise, en hauteur, le soir tombe. Il faut vite se débarbouiller avec l'eau du puit, avant de ne plus rien voir. Lassitude d'une journée de marche par 40°C. Bruits des animaux nocturnes, chuchotements près du feu. Je reviens vers les autres, pour manger. Du riz avec une sauce aux légumes, quelques rares morceaux de viande. Accroupis autour de la grande bassine en aluminium, chacun plonge alternativement la main droite dans le plat, et ramène une poignée de nourriture qu'il porte à sa bouche. Le repas se conclue par la traditionnelle série de trois thés à la menthe très forts et très sucrés, préparés sur un petit réchaud. Bruit du thé coulant dans les verres, puis reversé dans la théière. Une mousse épaisse se forme peu à peu, au cours de l'opération. Les gens parlent doucement. La nuit devient plus profonde, le cercle plus intime. La fatigue me fait dodeliner de la tête, je vais me coucher. J’étends ma natte sur une terrasse, pas de moustiquaire, ici on ne craint rien. Plaisir de s'allonger, après une longue journée. De regarder le ciel, extraordinaire. Je n'ai jamais vu aussi distinctement les étoiles que ce soir. Je n'ai d'ailleurs jamais su leur attribuer un nom, une constellation, je reconnais juste l'étoile du berger, qui n'est pas une étoile, la Voie Lactée. Et la Grande Ourse. Je vois des étoiles inconnues de moi, un ciel différent de celui de mes nuits européennes.
On devine les roches aux formes étranges qui nous entourent, le village lui-même, éclaboussés par la lueur des étoiles. Tout devient d'une beauté incroyable, presque douloureuse. Je goûte à la paix absolue. Tout est exactement à sa place, tout semble simple, évident. Depuis toujours. J'ai l'impression d'une cohésion parfaite entre chaque chose que je perçois…
Puis la lune se lève. Elle brille d'un tel éclat qu'elle efface peu à peu les étoiles du ciel. La lumière se transforme, tout est plus distinct. La magie disparaît peu à peu, les choses redeviennent ce qu'elles sont, reprennent leur place. Il est temps de dormir, avec au cœur l'envie de vivre pour toujours là, dans ce village à flanc de rocher, une vie simple. Et de reposer, chaque soir, sous les étoiles.