Une première partie très brève et très travaillée qui pourrait être abordée comme une nouvelle à part entière : Le Mannequin. Une ambiance lynchienne, néo-noir, maniériste. L'auteur confessera ensuite « Je n'aime guère les photos, les enregistrements. Je préfère les images que j'ai gardées dans la tête, même si elles sont imprécises et lacunaires ... Ce sont les miennes, elles sont un peu vivantes. » Une citation renvoyant inévitablement à ce que déclare Fred Madison dans Lost Highway de David Lynch. La fragmentation et la déconstruction d'Entrée des fantômes sont proches de Mulholland Drive.
Avec Entrée des fantômes - on apprécie au passage l'inversion du titre du dernier roman de Philip Roth Exit Ghost - Jean-Jacques Schuhl refuse la linéarité, la narrativité qui visiblement ne l'intéresse pas. Schuhl souhaite davantage jouer avec son lecteur, le dérouter, l'égarer, l'agacer un peu aussi et le piquer. A la manière des nouveaux romanciers (Butor, Robbe-Grillet) il s'interroge sur le pouvoir et l'intérêt du roman classique avec des personnages, des intrigues. Mais l'auteur ne livre jamais une oeuvre pédante ni théorique malgré d'innombrables références picturales (Bacon, Degas), théâtrales (Shakespeare), cinématographiques (Robert Wiene, Raoul Ruiz), musicales (Jazz)...
La seconde partie du livre, La nuit des fantômes est parsemée d'observations sur la vie, sur la mort, sur la création artistique et les acteurs auxquels l'auteur voue un certain culte. Jean-Jacques Schuhl semble se voir lui même comme un marionnettiste ou un metteur en scène de théâtre, créateur d'illusions, surtout dans la première partie du livre dans laquelle l'auteur joue sur les reflets, les contrastes, les couleurs dans un style très visuel et cinématographique, hanté par l'expressionnisme allemand.
L'auteur clame : « Ecrivain ! Mais alors si je voulais sauver un éventuel talent, il me fallait rester dans l'ombre : l'écrivain est un vampyre, un clandestin, un espion, un agent secret. » Docteur Mabuse ? Voici la définition d'un écrivain par un homme qui a visiblement du mal à se reconnaître comme tel, se disant journaliste ou sans profession... Le Goncourt reçu pour Ingrid Caven en 2000 ne lui a pas retourné la tête. Tant mieux. Il n'a pas simplifié son rapport à l'écriture. A nouveau : tant mieux ! Du moins pour le lecteur, tant l'auteur semble avoir accouché dans la douleur de cette oeuvre, sa quatrième seulement en 40 ans.
Dans Entrée des fantômes, Jean-Jacques Schuhl mêle tellement fiction et réalité qu'il est presque impossible de dissocier les deux. C'est en lisant des déclarations de l'auteur que l'on parvient un peu à tirer cela au clair, lui qui rêve de jouer dans Richard III. Schuhl écrivait : « Pourquoi un écrivain ne serait pas acteur Shakespearien ? Je demande pas à monter sur un ring, juste sur une scène ! » (p.111) puis, page suivante « J'aimerais jouer pour un soir le rôle de Richard III ».
Ce « machin » comme l'appelle l'auteur contient plusieurs niveaux de lecture, il en contient au moins deux : Un premier un tantinet nombriliste, l'autobiographie irritante, en manque d'inspiration puisque avare de matière fictive... Ou alors, la meilleure approche pour cet OVNI dans le paysage littéraire français, l'expérimentation et l'autopsie littéraire qui raviront ceux qui rêvent de lire quelque chose de neuf, de frais et de singulier.
Dans Entrée des fantômes, rien n'est de trop, tout est pesé et il s'agit vraiment de l'aventure d'une écriture pour paraphraser Jean Ricardou.
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