Le premier tiers, vent dans le visage, presque immobile.
Quand on monte une côte, on acquiert quelque chose. On accumule de l'énergie, qui nous sera rendue éventuellement dans la descente. Contre le vent, rien de ça. On acquiert de la force, je suppose. Une certaine sage résignation.
Suis-je un obsédé sexuel ?
Les derniers 40 km, c'est vent de côté. Trois fois les automobilistes fous nous frôlent et nous envoient valser dans le fossé, à deux doigts d'un canal rempli de croupissure. L'appel d'air est si fort, le tourbillon si irrésistible, je dois apprendre à donner une sorte de coup de roue vers l'intérieur, juste comme la voiture nous double.
Deux fois je perds ma caquette, ça c'est quand les gros camions foncent de l'autre côté, lancés à plus de 150. Puis aussi, c'est la Toussaint, les parigots glissent dans leurs Audis et leurs Lexus ! Z'ont pas de patience pour les tracteurs. Donc ils les doublent, et tant pis si y a un vélo dans l'autre voie.
Nous roulons les poings serrées. En plus du reste, la petite bande de 5 cm qui nous est dévolue est jonchée, tapissée, laminée de bêtes mortes. C'est morbide, sordide, effrayant. Leurs têtes grimaçantes hantent mes pensées. Nous leur roulons sur la queue, sur les pattes, sur le corps, sur la tête… Aucune façon de les éviter. Je tente tout au plus d'esquiver les mâchoires béantes et les griffes tordues dont les protubérances pourraient causer une crevaison. Je ne voudrais pas passer une demie-heure le long de cette allée funèbre en si putride compagnie, agenouillé par terre à changer une chambre à air.
Nous entrons à La Rochelle par les jupes, par l'intérieur. Ah ça fait drôle. Cette ville que je connais bien. Je sais exactement où aller. Je file droit sur mon hôtel. Pas de bol, c'est plein. Je prends une chance sur un autre. Uhm. Dormir, pour l'instant. Puis demain, commence le vrai voyage. Demain je commence mon livre.