Encore sur les druides...

Par Amaury Piedfer

Le dernier numéro de la revue Histoire antique et médiévale (n° 47, janvier - février 2010) consacre un dossier à la question des druides. Les quatre articles proposés sont écrits par le même auteur, Gaël Hily, jeune chercheur spécialisé dans les littératures celtiques médiévales :
- Qui sont les druides ?- Le druide et le roi- Les fonctions du druide- Druide et éléments naturels
Si le dossier met en valeur la diversité du rôle social du druide, on regrettera que, comme souvent, une distinction plus nette n'ai pas été établie entre le druide gaulois de l'Antiquité et le druide du monde médiévale insulaire : si le nom est commun entre ces deux figures, il s'agit bien de deux phénomènes différents. Si les données de l'histoire et de l'archéologie antiques peuvent fournir des éclairages sur ce qu'a été le druide insulaire, et inversement si les textes irlandais et gallois peuvent parfois préciser tel ou tel point sur les druides gaulois, c'est à notre avis envoyer le lecteur néophyte sur une fausse piste que de parler du "druide" en général.
Ainsi, le premier article évoque "la classe sacerdotale celtique" : druides, bardes et vates ; mais sous ces vocables se cachent des réalités sociales et culturelles qui ont beaucoup varié selon les époques. Le deuxième article, sur les relations entre le druide et le roi, traite essentiellement de la royauté irlandaise, et donc des druides insulaires tardo-antiques et médiévaux ; en Gaule, au temps où les druides sont attestés par les sources (IIème - Ier siècles av. J.-C.), la royauté avait disparu pour laisser la place à des magistratures exercées par l'aristocratie (y compris par des druides), la problématique des relations des druides avec le pouvoir est y donc en fait fort différente. Quand on étudie les relations du druide irlandais avec le roi, il est pertinent de rappeler que César, à propos des druides gaulois, notait qu'ils investissaient les magistrats supérieurs ; mais il est abusif de s'appuyer sur cette comparaison pour évoquer "le druide" en général, tant les divergences dominent [1]. Un peu comme si l'on tentait de comprendre ce qu'aurait été un théorique "pontifex maximus" romain en mettant dans le même sac le prêtre le plus important de la religion publique romaine et... le pape catholique qui reprit ce titre dans l'Antiquité tardive.Le dernier article, sur "Les fonctions du druide", s'appuie en revanche surtout sur les sources antiques et ne nous apprend pas grand chose sur le druide insulaire.
Encore une fois, nous le répétons : il est parfaitement légitime de vouloir comparer le druide gaulois et le druide irlandais ; mais tenter de dresser un portrait générique du "druide celtique" est à notre avis une démarche a-historique, qui ne tient pas assez compte de la distance chronologique, de l'évolution des sociétés et des particularismes locaux. Ce dossier d'Histoire antique et médiévale en est une bonne illustration : malgré la qualité des analyses, le grand-écart parmanent entre le monde gaulois et le monde irlandais insulaire ne parvient pas à convaincre. Il n'est pas anodin de remarquer que cette démarche caractérise surtout des chercheurs en littérature... dont le sens historique se relâche parfois quelque peu.
Amaury Piedfer.
[1] Voir à ce sujet l'article déjà ancien de J.-M. Welterlin, "Les druides. Druidisme gaulois et druidisme irlandais", dans ALMA, 16, 1989, p. 61-75.