En l’espace de trois films sortis dans les salles françaises ces deux dernières années, Mendoza s’est bâti une solide réputation auprès des cinéphiles français, qui ne pourra qu’être renforcée lorsque Lola sortira dans quelques mois. Un film du metteur en scène se reconnaît en quelques plans. Les rues de Manille, une caméra à l’épaule épousant le parcours d’un personnage à travers le bouillonnement de la ville. Ca y est, c’est sûr, on est chez Mendoza.
Le personnage que l’on attrape en cours de déambulation dans les rues de Manille est cette fois une grand-mère, accompagnée de son petit-fils. Ils se faufilent entre les passants sous un vent battant. Arrivés dans un coin bétonné où joue une bande d’enfants, ils s’arrêtent, et essaient d’allumer une bougie, qu’ils déposeront sur le sol. C’est à cet endroit, la veille, qu’un autre des petits-fils de la vieille dame a été mortellement poignardé.
Pendant que la famille cherche à réunir de l’argent afin de se payer un cercueil pour l’enterrement, une autre grand-mère entre en scène, celle de l’assassin. Celle-ci ne peut pas voir son petit-fils comme un meurtrier, et va s’évertuer à le faire sortir de prison, malgré son acte.
Chez Mendoza, les personnages changent, mais la ville reste la même, et le style demeure inimitable. Il y a quelque chose de proprement fascinant dans l’aisance cinématographique du réalisateur philippin, film après film. Cette fluidité imparable dans le récit et la mise en scène. Comme un fleuve qui coule sans obstacle, aimant les plans-séquences et connaissant peu le sens du mot ellipse. Le cinéma de Mendoza est une invitation à plonger dans le quotidien de Manille, sans filet, avec cette impression inaltérable que nous faisons partie du décor tout autant que ce qui apparait à l’écran.
La caméra glisse sur ces maisons, ces rues encombrées, ces visages criant de réalisme, nous poussant à nous interroger sur la place du vrai et du faux. Où commence la fiction, et où rejoint-elle la réalité. Si j’ai ressenti nettement moins fortement Lola que Kinatay ou Serbis, force est de constater que Mendoza perpétue sa capacité à sonder sa ville, ses habitants, et sa société. Violence tellement ancrée dans le quotidien qu’elle ne surprend plus, système D à tous les étages, de la rue aux institutions, possibilité de tout acheter avec un peu d’argent, même la liberté d’un homme qui a commis un homicide… Le regard de Mendoza est aigu, avec un mélange de chaleur et de désabusement totalement iconoclaste. Un sentiment de joie de vivre se disputant constamment avec un malaise profond, peignant probablement par là les paradoxes de la société philippine.
Si pour la première fois j’ai ressenti un peu d’ennui devant un film de Mendoza, j’en suis tout de même sorti admiratif de la richesse du regard posé... et toujours aussi curieux devant cette langue qui mélange allègrement le vocabulaire local avec des bribes d’espagnol et d’anglais incongrus.