« Peuple de Berryer levez-vous ! » Qui harangue ainsi, d’une voix tonitruante, les spectateurs dont un tiers n’ont pas trouvé de place assise, dans la Salle des Criées du Palais de justice de Paris ? Thomas Heinz, 4ème secrétaire de la conférence du stage. Derrière ce jargon se cache un des lauréats (ils sont douze comme les apôtres) du concours d’éloquence des avocats du barreau de Paris. La conférence Berryer, ainsi nommé en hommage à l’avocat Pierre-Antoine Berryer, ardent défenseur de la liberté de la presse sous la Restauration, c’est un peu la version light de la conférence du stage : aucun enjeu à la clef, hormis celui de briller par le Verbe, et tout le monde peut y participer. L’usage est de convier un invité d’honneur dont le quatrième secrétaire fera l’éloge « doux-amer ».
Deux ans quasiment jour pour jour après son arrestation pour consommation de drogue, et son placement au dépôt (situé au sous-sol du Palais), Frédéric Beigbeder a accepté de s’asseoir dans le siège qui a déjà accueilli Nicolas Sarkozy, Michel Déon, Jacques Villeret, Jean-Marie Messier, Catherine Deneuve ou encore Loana. Les secrétaires parfois cruels ont plutôt flatté l’auteur d’un Roman français lui prédisant le prix Goncourt en 2015 pour un livre écrit en prison après le braquage d’une banque au pistolet à eau, et le Pulitzer en 2029 résultat de son expérience dans les quartiers de haute sécurité. Là où la séance devient intéressante, c’est quand les jurés « critiquent » le discours des candidats. Appelés à s’exprime sur deux sujets au choix, préparés à l’avance.
Première question : « Le roman français est-il sur de bons rails ? ». Il y eut du règlement de comptes : « littérature de supermarché », « émotions UHT », « Anna Gavalda, l’esthéticienne de la romance qui épile ses romans comme des tickets de métro » avant cet aveu suicidaire : « l’ennui est une chose pénible ». Erreur fatale car le principe directeur est la mise à mort. Pas de Berryer sans humiliation, le public aime à être scandalisé. Jouant l’avocat de la défense, Beigbeder dorlote le premier orateur parce que « vous avez dit du bien de Frédéric Dard et réussi à ne pas citer Françoise Sagan ». Deuxième sujet : « Le marin est-il l’ami de l’écrivain ? ». « Oui » répond l’écrivain invité « si le procureur Jean-Claude Marin ne m’avait pas abusivement enfermé je n’aurais pas écrit cette histoire, je lui dois mon Renaudot ! ». La justice a décidément des vertus cachées .
Paru dans Le Figaro littéraire du jeudi 4 février 2010.