je vois sur la rivière
- frontière rouge sang –
des ombres innocentes
dont les casques roulent
follement follement
sur les berges tremblantes
j’y pêchais à la ligne
raccrochais mes hameçons
à ces ferrailles mortes
tandis que les poissons
se gardaient bien de mordre
glissant au long des algues mauves
c’était un pays pluvieux
aux ponts mille fois détruits
passage obligé des crapauds
raclant depuis la Germanie
qui tirèrent à boulets rouges
misère sur nos maisons
nous y avions rangé
en toute piété molle
nos habitudes nos gestes
pesant le pain et le vin
à l’aune de nos vies
qui gisaient en déveine
tu aurais dû faire un geste
pour protéger les eaux les ponts
le temps – on ne vit qu’une fois –
générations bousculées
hantises surajoutées
à la terreur de vivre
mais le clocher s’est tu
le prêtre a béni les ruines
avec l’eau rouge de l’Aisne
et plus personne n’a cru
au temps d’espoir possible
que le flot charrierait des pépites
les orpailleurs ont remisé
le tamis au rencart
il n’y aura plus d’ocre
dans le courant tourbillonnant
apporte-nous du bleu
au ciel et des passions
saules amis chantez-nous
le futur de vos feuilles d’argent
donnez l’oubli à nos suivants
donnez de vos branches douces
des airs secs de xylophones
pour que la terre repose enfin
cette musique des os
vaudra toujours mieux
que celle dégoulinante
de l’orphéon grossier
dont je fus au pas l’instrument
déguisé en militaire
au temps des guitares mouillées
je soufflais ne vous déplaise
par les rues mortes des airs
d’autrefois marches de quatorze
piteuse marseillaise et Madelon
dont nous effleurions en rêve le jupon
et l’atroce sonnerie aux morts
régulièrement cafouilleuse