Il en est ainsi de "la nuit juste avant les forêts", un texte de Bernard-Marie Koltès écrit en 1977. Une longue phrase qui s’étend sur 63 pages. En novembre dernier, Michel Didym me l’a dite si intensément que sa voix raisonne encore en moi à la lecture de ces mots.
C’est une nuit pluvieuse où un homme nous aborde dans la rue, à la recherche d’une chambre. Peu à peu le flot des mots nous envahit, nous transporte, nous retient. La mise en scène de Alain Françon donne de la matière à l’acteur seul sur scène. Le bois refuge suspendu par des cordes au dessus de l’eau qui attire, les pierres disposées ça et là dans l’eau pour rester au sec, en équilibre, le bloc de pierre qui se balance, lourd et frôle l’acteur, les pieds dans l’eau, qui monte le long du pantalon, le froid qui guette, le pied qui tape et éclabousse de colère, la pluie qui tombe.
Il est question d’une pute qui est morte d’avoir mangé la terre d’un cimetière. Tout le quartier s’en émeut. "Où aller ? Où aller ?". Où aller pour échapper à ces putes folles ? Où aller pour fuir la douleur des autres ? Où aller pour ne plus croiser rien qui nous dérange ? "La nuit juste avant les forêts" est un appel puissant à la fraternité et à l’humanité.
Yves Ferry qui crée la pièce avec Koltès pour le festival d’Avignon témoigne "La Nuit, c’est comme un solo de Charlie Parker : à la fois très construit, très savant, et tenant de l’oiseau, du mystère de chanter dans la nuit. Un blues qui ouvre tout et qui garde ses secrets."
C’est aussi ce que j’aime dans la musique jazz. Une mélodie, une structure, et puis tout est ouvert pour l’improvisation d’un artiste, qui laisse apparaître dans la note inventée la beauté de son âme. John Coltrane dans le texte : "It took that long to get it all out".
df.
et pour le plaisir...