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De la Kora à Warkéré

Publié le 03 février 2010 par Bababe

Toujours pour les 4 ans de B.Loti, pour ne pas fêter l’écrit sans l’écriture,  lire ou relire Warkéré, revu et corrigé par ACB…En écoutant  la kora  de  Tumani Diabaté

De la Kora à Warkéré

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WARKERE

C’est au moment où elle plaçait sa bassine sous la gouttière de sa demeure en banco dans l'espoir de recueillir l'eau de pluie pour abreuver deux chèvres, un âne, un arbre, quelques moineaux et elle même, que Warkéré entendit l’exclamation de sa voisine Dado, s'adressant à elle, admirative : « Ah, si seulement je pouvais échanger mes cheveux contre les tiens ! ».

Sans daigner regarder Dado, Warkéré dissimula, d’un geste rapide et précis, ses longues tresses sous son missoor, avant de scruter le ciel, se demandant si les nuages se décideraient à verser leur précieuse eau.

Vexée par l’attitude de Warkéré qu’elle interpréta comme signifiant qu’elle était une sukugna (sorcière) à la langue maléfique, Dado alla raconter cet affront à Gorgol, une classe d’âge de Warkéré.

Gorgol, haussa le menton, et lui dit :

 « Encore heureux pour toi que Warkéré se soit limitée à ne pas te répondre. Sais-tu seulement ce que son mari, un véritable almuudo ngay[1] (chansonnier) avait répliqué à une médisante trouvant que Warkéré ne méritait pas des cheveux aussi beaux ?

Il s’adressa à elle en ces propos : « Si, à chaque fois que tu en arrachais, tu conservais les poils de tes aisselles et de ton dessous de pagne, peut-être aurais-tu de quoi rallonger tes tresses jusqu’ aux talons !"

A présent Dado, tu comprends pourquoi Warkéré est une gpopaado (marginalisée). Dieu même l'a abandonnée, car elle n’a jamais eu d’enfant. Elle n'avait que 33 ans quand elle a perdu son mari, elle approche les 70 ans et n'a jamais voulu se remarier. Cette femme attire chez elle et en elle le malheur et la misère. Oublie-la et ne te plains surtout pas de ses actes.»

Warkéré, s’est-elle jamais plaint de quelque chose ? Nul ne peut l'affirmer. Son visage n’incitait pas à la familiarité, et si ses états d’âmes devaient transparaître, ce ne serait sûrement pas sur une partie d’elle visible des autres.

Si certains comparent Warkéré à une tewdda (girafe) à cause de sa grande taille, d'autres jurent qu'elle a la noirceur hideuse de la carpe des marigots, opposée à cette  noirceur sublime dont on dit qu’elle est un tatouage de Dieu. (bawli yuumdi nanddi e fino allah).

Rares sont ceux qui la croisent dans les cérémonies de deuil. De même personne ne la verra dans celles des mariages ou des baptêmes. Elle n’y met jamais les pieds.

Warkéré ne se déplace guère pour saluer des proches de retour de longs voyages, pour éviter d’être confondue avec les gens qui accourent dans l’espoir d’obtenir un pagne, une morceau de savon ou une petite somme en guise de cadeau. N’a-t-elle pas, toute sa vie, cultivé elle même son champ, sans jamais demander ni accepter l’aide de personne ?

On eut dit que son corps d’athlète n’était voué qu’à l’action, et que sa mémoire, pourtant fabuleuse, ne retenait que ce qui pouvait porter atteinte à sa fierté.

Tout ce que Warkéré acceptait était les sommes que son neveu glissait discrètement sous sa natte, sans l’encombrer des interminables salutations d’usage, ni attendre d’elle en retour des remerciements et des bénédictions. Ce neveu avait même bravé son épouse, et imposé le prénom préhistorique de Warkéré à sa dernière fille, interdisant à quiconque de la nommer autrement… surtout pas Bébé Jolie, Petit Bijou, Bébé Chérie et autres niaiseries dont ses aînées avaient été affublées.

La petite Warkéré échappa ainsi à un surnom ridicule qu’elle aurait traîné toute sa vie comme un boulet, et qui aurait été transmis à ses petits enfants et aux enfants de ses petits enfants. Et ses grands-parents furent soulagés de ne pas avoir, pour une fois, à livrer des combats épuisants et vains pour qu’on désigne leur petite fille par son véritable prénom.

C’est seulement quand Warkéré mourut qu’on découvrit toutes les sommes que le neveu lui laissait. Les billets avaient été soigneusement attachés et noués à l’extrémité d’un pagne, lui-même rangé au fond d’une vieille malle.

Le neveu comprit alors que sa tante avait beaucoup pris sur elle en acceptant ses dons. Elle, qui ne voulait rien de personne, manifestait par ce geste une affection sincère, révélant ainsi qu’elle avait apprécié que son neveu n’ait jamais rien attendu d’elle, et  avait aimé qu’il ait donné, de bon cœur, son prénom à sa fille.

L’idée aujourd’hui répandue qui veut que l'homonyme soit en général quelqu’un  de nanti ou un notable, excluait des gens comme Warkéré. Mais le neveu avait compris que de toutes les richesses de la terre, celle que possédait sa  tante était la plus précieuse. La vue de tout cet argent serré dans le nœud d’un pagne lui fit prendre conscience de l’âpre combat que la vieille femme avait mené sa vie durant, afin ne pas céder à cette redoutable tentation de la possession qui domine et consume le cœur de tant d’humains.

Au milieu de tant de gens auxquels elle ne voulait pas ressembler, qui rêvaient de l’étrangler mais n’avaient que le courage de la maudire, chaque soir et chaque matin, depuis plus de 60 ans, seule cette fierté emprisonnée dans le corps de Warkéré, jusqu’à l’étouffer, peut témoigner de cette difficulté à se dresser contre les pouvoirs si féroces et si efficaces du désir de  richesse.

Warkéré aurait-elle destiné ces sommes en héritage à son homonyme ? Nul ne le saura. Par contre tout le monde sait que Warkéré n’avait rien de plus précieux que sa fierté.

Safi Ba

A ma tante M'Berla Ba


 


 



 


 



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