Publié en 1926, Armand est le second roman d'Emmanuel Bove après Mes Amis dont j'ai déjà eu l'occasion de vous parler. On retrouve là encore le style très particulier de Bove, fait d'observation méticuleuse, mentionnant des détails dont l'intrigue n'a cure. En fait il 'y a pas d'intrigue, nous sommes dans le domaine du ressenti, de la sensation. Chaque geste appelle une interrogation, l'ai-je bien fait, que va en penser mon interlocuteur ? L'écrivain nous place dans la peau - dans la pensée plus exactement - d'Armand et ça créé un malaise car toujours le héros bovien est un inquiet, un introverti, un timide de cette timidité des gens humbles de basse extraction. Parfois on voudrait le secouer, l'engueuler « Arrête de te prendre la tête pour ça ! ».
Armand qui n'a pas l'air de travailler vit avec Jeanne, une veuve, et on comprend que celle-ci est plus âgée qu'Armand, que leur logement est celui de Jeanne en fait et que sa mise en ménage avec cette femme est une sorte de promotion sociale pour lui. Le logement est modeste, leur train de vie aussi, mais on devine que la situation d'Armand auparavant n'était pas brillante. Ce que nous confirme sa rencontre impromptue avec Lucien, un ancien compagnon de misère qui lui n'a pas évolué et considère Armand comme une sorte de parvenu. Lucien a une jeune sœur dont Armand va tomber amoureux, ce qui lui attire les reproches de son ami Lucien et va aboutir à sa séparation d'avec Jeanne. Quand le roman s'achève Armand est de nouveau seul, sans argent ni logement, s'éloignant dans les rues.
Petites vies de petites gens, malheur tranquille, Bove véritable disséqueur de l'âme écrit ses romans un œil rivé dans l'objectif de son microscope pour mettre au jour nos tourments les plus intimes et souvent les plus anodins. C'est parfois pénible à lire - voir plus haut - mais toujours très fin et très juste.
« Lucien regardait un trou dans le plancher. Un nœud d'une planche avait sauté. Ce trou donnait sur la cave. Il était immobile. Sa main droite fermée reposait sur la table. Il rêvait. Je pris mon verre. Il tint si mal le sien que je dus en toucher le pied pour trinquer. A le voir ainsi, triste et las, j'aurai voulu lui dire comme je compatissais à ses peines malgré les apparences. J'aurais voulu qu'il chassât de son esprit l'idée qu'il se faisait de moi. Il m'eût aimé s'il avait pu deviner ce que je pensais de lui. Et comme je ne parvenais pas à le lui laisser entendre en parlant, je m'efforçais dans mes gestes de me montrer tel que je suis. J'étais simple. J'évitais de prendre les attitudes que j'affectionnais en compagnie de Jeanne. Mes mouvements, je les accomplissais même avec lenteur pour qu'il eût le temps de les imiter. »
Emmanuel Bove Armand aux Editions Nota Bene