Un ressortissant turc a sollicité le retrait de la mention “islam” dans la rubrique “religion” de sa carte d’identité et l’indication, à la place, de la confession “alévie”. Les registres d’état civil et les cartes d’identité turcs comprennent en effet cette information relative à la religion ou à l’absence de religion des intéressés. Les juridictions internes ont refusé ces demandes en estimant « que le terme “alévi”, qui désigne un sous-groupe au sein de l’islam, ne pouvait être considéré comme une religion indépendante ou une branche (”mezhep”) de l’islam » (§ 8).
La Cour européenne des droits de l’homme adopte ici une position de principe assez nette à l’encontre de la mention de la religion sur les documents d’identité, et ce, sur le terrain de la liberté de pensée, de conscience et de religion (Art. 9), jugée essentielle (§ 37). Est surtout rappelée la présence de « droits négatifs au sein de l’article 9 de la Convention, notamment la liberté de ne pas adhérer à une religion et celle de ne pas la pratiquer » (§ 38 - pour une application récente, v. Cour EDH, 2e Sect. 3 novembre 2009, Lautsi c. Italie, Req. n° 30814/06 - Lettre droits-libertés et CPDH du même jour) dont, en particulier, « le droit pour l’individu de ne pas être obligé de manifester sa religion ou sa conviction et de ne pas être obligé d’agir en sorte qu’on puisse tirer comme conclusion qu’il a - ou n’a pas - de telles convictions » (§ 41).
Selon les juges strasbourgeois, la mention litigieuse affecte le « droit de ne pas divulguer sa religion ou sa conviction, qui relève du for intérieur de chacun » (§ 42), d’autant qu’eu égard « à l’usage fréquent de la carte d’identité (inscription aux écoles, contrôle d’identité, service militaire, etc.), la mention des convictions religieuses dans des documents officiels tels que les cartes d’identité risque d’ouvrir à des situations discriminatoires dans les relations avec l’administration » (§ 43). De plus, le fait que l’État puisse, comme ici, juger de la confession du requérant (qualifiée d’”islam” contrairement aux souhaits de ce dernier) « ne saurait se concilier avec le devoir de neutralité et d’impartialité de l’État » (§ 46).
Plus encore, la Cour juge indifférente la modification législative turque, entrée en vigueur en 2006, qui permet de demander que la case “religion” soit laissée vide. Elle estime en effet, que « la case consacrée à la religion - vide ou complétée - continue à exister sur les cartes d’identité ». Or, « le simple fait de demander la suppression de la religion sur les registres civils pourrait constituer la divulgation d’une information relative à un aspect de l’attitude des individus envers le divin » (§ 49). Non seulement « le fait de laisser vide [une case consacrée à la religion] a inévitablement une connotation spécifique » (§ 51) et constitue une « déclaration involontaire de ses croyances religieuses lors de chaque usage » de la carte d’identité (§ 50), mais « l’attitude consistant à demander qu’aucune mention ne figure sur les cartes d’identité a [également] un lien étroit avec les convictions les plus profondes de l’individu » de sorte que « la divulgation d’un des aspects les plus intimes de l’individu est toujours en jeu ». (§ 51).
Par cette condamnation de la Turquie pour violation de l’article 9 et surtout le raisonnement qui la justifie, la juridiction strasbourgeoise sape donc l’idée même d’une mention, fut-elle non obligatoire, de la religion sur les documents d’identité et tend à considérer cette pratique comme étant en soi contraire à l’article 9 (v. contra opinion dissidente du juge Cabral Barreto : « la majorité va trop loin »).
CPDH : voir le précédent de la mention de la religion sur les cartes d’identité grecques : Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 31, Sofianopoulos et autres c. Grèce ((déc.), nos 1977/02, 1988/02 et 1997/02, CEDH 2002-X); Alexandridis c. Grèce, no 19516/06 , § 38)
Sinan Işik c. Turquie (Cour EDH, 2e Sect. 2 février 2010, Req. no 21924/05)