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Oriane

Publié le 03 février 2010 par Jlhuss

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Un soleil éclairait doré ce paysage sans ligne de fuite tel qu’aux décors du théâtre naïf, nuages immobiles, feuilles inertes, pont franchissant d’une arche une eau faussement miroitante.

Oriane marchait sans se retourner, depuis une minute ou deux jours, attendue par son père au carrefour du Chêne, deuxième étoile dans l’avenue forestière reliant hier à demain et l’ennui d’être à la peur de finir.

Elle ignorait pourquoi le père aimé désirait si fort la voir ce jour en cette place, à l’ombre de l’arbre ancestral au tronc si gros que les bras de quatre hommes ne suffisaient pas à l’entourer.

Qu’avait donc ce père à lui dire de si grave qu’il y fallût des mots de vive voix plutôt qu’un de ces éclairs télépathiques d’usage pour les communications ordinaires ? Avait-il retrouvé trace de l’épouse, enfuie l’année suivant l’accouchement si terrible qu’on la crut morte ? Réclamait-elle enfin le nom de mère ? Oriane s’émouvait, ralentissait le pas à l’idée qu’elle devrait reconnaître, voire aimer celle qui l’avait rejetée deux fois : dans le flot du sang puis dans la sécheresse de l’absence.

Une autre pensée lui serrait le cœur à la faire s’asseoir, mais si pressante qu’elle se mettait au contraire à courir, et sa course immobile, comme actionnant une machinerie, faisait avancer les nuages, défiler les arbres, couler l’eau, donnant au spectateur l’impression d’une urgence pathétique qui soulevait des applaudissements quoique la pièce ne fût pas terminée. On le sentait : elle ne s’achèverait qu’avec la mort du père, et cette vision entrait si vive en Oriane qu’elle pleurait de ne pouvoir voler, devancer le malheur, lui faire barrage de ses bras.

Le père l’attendait assis sur le banc du vieil arbre, la serra contre sa poitrine, caressant les cheveux, enroulant une mèche d’un doigt lent, comme aux heures de grande mélancolie, quand s’empare du rêveur le doute d’être au monde pour de bon.

La mort du père doit se jouer presque insensiblement, comme si l’écorce l’aimantait, le dévitalisait, l’absorbait diaphane. Et sur le banc, contre le flanc tremblant d’Oriane, ne  reste un peu de temps, signalée par un fin rai d’opale, que la tiédeur d’une présence sans laquelle il faudra bien poursuivre.

Arion


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