Le rapport "mal logement" de la fondation Abbé Pierre 2010 vient de paraître, et l'on ne peut que partager les constats qu'il effectue, quand bien même tel ou tel chiffre pourrait être discuté à la marge: la situation des ménages à revenus modestes, voire simplement moyens, en France, par rapport au logement, est absolument dramatique et totalement indigne d'un pays qui se veut évolué et qui n'a de cesse que de porter aux nues son modèle prétendument social. Pire, malgré une légère décrue des prix par rapport au sommet de la bulle, les chiffres du mal-logement ne montrent aucun signe d'amélioration.
Une philosophie bien étatiste...
Quelle que soit l'accord que l'on puisse avoir avec la fondation quant aux constats, la compassion pour les mal logés et l'admiration pour l'abnégation dont les bénévoles de l'association font preuve pour tenter de venir en aide d'urgence aux plus démunis, il ne faut pas se voiler la face derrière les bonnes intentions affichées, de bonne fois, par le rapport: les solutions proposées par la fondation se révèleraient au mieux contre-productives, au pire totalement catastrophiques.
Dans son article de Mardi, Emmanuel Martin a évoqué les effets désastreux du cadre général de la politique du logement conduite depuis 100 ans en France. Contrairement aux opinions répandues, et comme je l'ai abondamment souligné dans mon ouvrage, ce sont les empilements d'interventions étatiques sur le logement, qu'il s'agisse de réglementation foncière, des effets pervers de la socialisation du logement ou de la réglementation des baux privés, qui ont conduit à la dramatique pénurie de bons logements que nous connaissons dans les grandes agglomérations.
La fondation Abbé Pierre ne partageant visiblement pas ces constats, elle prône toujours plus d'interventions publiques pour permettre à plus de "logements abordables" d'être accessibles aux familles modestes.
Cependant, la valeur d'une politique ne se jugeant pas à ses intentions, mais à ses résultats. Je ne passerai pas en revue détaillée toutes les mesures évoquées par la Fondation, mais analysons ce que seraient les résultats de quelques unes de ses propositions les plus emblématiques contenues dans les 14 pages du Chapitre 5 du rapport (PDF).
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1. Proposition (Page 217): "Imposer sur tout le territoire et dans tout programme immobilier de plus de 10 logements un quota minimum de 30 % de logements à loyer accessible (logements sociaux ou logements privés conventionnés)" -
Dans la continuité de la loi SRU, promulguée en l'an 2000, le rapport voudrait que tout promoteur inclue 30% de logements subventionnés dans ses programmes. Notons que dans de nombreuses opérations de ZAC ou de grand ensemble, cette obligation existe déjà, mais avec un pourcentage généralement plus faible. En général, ce sont les logements "non sociaux" qui absorbent le coût de la subvention aux logements sociaux.
Examinons les conséquences pratiques de cette obligation.
Imaginons donc un programme de 100 logements, qui reviendraient tous au prix de 150 000 euros en l'absence de la règle des 30% à leur constructeur, lui permettant de les vendre à 170 000 euros pièce Hors Taxe (la transaction moyenne en France a atteint 192 000 euros en 2005, nous sommes donc dans des ordres de grandeur réalistes). Imaginons maintenant que le législateur impose à 30 de ces unités d'êtres vendues seulement 100 000 euros HT à un organisme social, pour lui permettre de la louer à un prix très inférieur à celui du marché. Après tout, la "maison à 100 000 Euros" a été le slogan de bataille de M. Borloo et de Mme Boutin lors de son passage au ministère.
Le manque à gagner sur le prix de revient de notre bâtisseur sera de 1 500 000 Euros, et sur le prix de vente de 2 100 000 Euros, qu'il devra répercuter sur les 70 logements ordinaires. Selon qu'il veuille simplement couvrir sa perte ou maintenir la totalité de sa marge, le surcoût qu'il devra imposer aux 70 acheteurs sera compris entre 21 400 et 30 000 euros par logement, soit un prix de vente désormais compris entre 191 400 et 200 000 Euros par logement, au lieu de 170 000.
La subvention, facteur d'accroissement du risque financier
Seul problème: Là où il pensait pouvoir trouver 100 acheteurs à 170 000 Euros, notre bâtisseur trouvera-t-il facilement plus ou moins de 70 acheteurs à 200 000 ? La loi de variation (les économistes parlent d'élasticité) de la demande de logement par rapport au niveau de prix est évidemment une donnée extrêmement fluctuante, en fonction du coût du crédit, des effets d'aubaine, et du facteur général de rareté de l'offre généralement lié aux règles de gestion de la ressource foncière. Mais d'une façon générale, l'expérience montre que dans un tel cas, les promoteurs choisissent de limiter les risques en pariant plutôt sur une soixantaine de logements vendus, tout simplement pour limiter la perte liée à la subvention en cas de mévente de la partie privée du programme.
En effet, imaginons que dans un marché libre, il ait surestimé la demande de 10% : il ne vendra que 90 logements à 170 000 euros soit un chiffre d'affaire de 15 300 000 euros (au lieu des 17M prévus), pour un prix de revient de 15 000 000 € - en supposant qu'il ait construit tous les logements, ce qui est le cas dans les opérations de collectif. Son bilan sera tout juste équilibré.
Mais imaginons maintenant que la mévente porte sur des logements proposés non pas à 170 000 mais à 200 000 Euros. Si 10 logements n'avaient pas trouvé preneur à 170 000, il est probable que dans la même conjoncture, il y ait plus de 10 logements à 200 000 qui restent sur les bras de notre promoteur.
Ce postulat trouve une justification encore plus forte du fait que puisqu'il n'est pas possible d'imposer un seuil de 30% à des programmes de 1 logement, ou d'un petit nombre de logements, le législateur imposerait un seuil de 10 logements (c'est la proposition de la fondation Abbé Pierre) au dessus duquel le promoteur devrait se soumettre à l'obligation d'inclusion. Le promoteur devrait donc faire face à une concurrence accrue des constructions individuelles et des programmes de moins de 9 logements, qui eux, pourraient, dans les mêmes conditions continuer à se vendre 170 000 Euros, pour un produit identique.
Or, du fait de la subvention aux logements sociaux, la perte par logement invendu -le prix de revient- ne serait plus de 150 000 Euros mais de 171 000 !
Bref, l'inclusion de logements sociaux dans le programme oblige le promoteur a supporter un risque de retournement de marché plus élevé et une perte par logement invendu plus forte que dans un programme sans cette contrainte. Naturellement, si le programme ne portait que sur des maisons individuelles, qui ne sont construites qu'après avoir été vendues sur plan, la perte serait un peu moins sévère, mais le raisonnement ci dessus n'en serait pas moins valide.
Résultat final: une diminution de l'offre totale
Comment réagira le promoteur ? En limitant le nombre de logements sociaux proposés, et donc en limitant son risque de perte. Ainsi est il possible, voire probable, qu'il réduise, par exemple, son offre à 80 logements, avec 24 logements sociaux (au lieu de 100 et 30). Par conséquent, moins de logements sont construits au total, et de fait, cette offre moindre tendra à augmenter encore les prix du marché non subventionné, et donc à augmenter le besoin ressenti de logements sociaux, et à rendre encore plus désirables les programmes de 9 logements et moins, lesquels ne supportent pas la distorsion créée par la subvention !
Mais, me direz vous, ce n'est qu'un raisonnement. Se vérifie-t-il dans les faits ?
Et bien oui. J'ai déjà eu l'occasion de mentionner les travaux de Stringham et Powell (PDF) ou Stringham et Means qui ont étudié les résultats de politiques similaires, appelées "inclusionary zoning", en Californie, laquelle est de loin l'état le plus cher de l'union même en période d'éclatement de bulle de crédit, à cause de réglementations foncières parmi les plus restrictives au monde.
Les auteurs ont comparé l'évolution de l'offre globale de logements dans les villes californiennes qui ont promulgué des ordonnances d'inclusionary zoning avec celle des cités qui s'en sont abstenues, et ce alors que le taux de logements sociaux retenu par ces municipalités était généralement contenu "seulement" entre 10 et 20%. Ils trouvent que dans les villes avec Inclusionary Zoning, la baisse immédiate de l'offre dans les années suivant le vote de l'ordonnance est d'au moins 10%, et le prix des logements non subventionnés grimpe de l'ordre de 20%, cf. ce résumé de leur recherche :
"During the period we studied, the number of California cities with inclusionary zoning laws increased from 15 to 56. We compared the changes in housing prices and supply in these cities to those without a similar ordinance. The cities that adopted inclusionary zoning laws saw a 20 percent jump in housing prices and a 10 percent decrease in the number of new units built. This is the basic law of supply and demand at work. Affordable housing mandates have had an unintended consequence: they have discouraged homebuilding, and the diminished supply of housing has driven prices up.
When forced to sell at below-market rates due to this type of zoning, homebuilders must choose between decreasing the number of affordable units versus taking a loss. And, not surprisingly, they almost always choose decreasing the number of affordable units, which they accomplish by reducing the total number of planned units. In other words, since inclusionary zoning laws require developers to sell a percentage of all units they build at below-market rates in order to get permission to build market-rate units, the policy forces them to cut back on everything. With the number of new homes thus limited, buyers end up paying more for their homes."
Dans notre pays où la construction globale dans les années fastes peine à dépasser les 400 000 logements, alors que la plupart des estimations sérieuses (Caisse des Dépôts, Rapport Attali, Héritage et Progrès... et Vincent Benard) font état de plus de 500 000 unités à produire chaque année pendant 10 ans pour pouvoir non seulement suivre l'augmentation du nombre de ménages mais aussi éliminer rapidement du parc les unités les plus insalubres, alors vous comprendrez que les effets macro-économiques à long terme de la mesure proposée par la fondation, qui tendrait à réduire d'environ 10% l'offre annuelle totale de logements produits par le secteur privé seraient désastreux.
Ajoutons qu'il est à parier que très rapidement, comme pour tout logement social bien intégré dans un ensemble urbain privé de qualité, les logements ainsi subventionnés ne seraient pas occupés par des ménages réellement dans le besoin. Les organismes loueurs, soucieux de réserver leurs meilleurs logements aux meilleurs dossiers, pour être certains de faire rentrer les loyers afférents, loueraient, dans le meilleur des cas, les logements à des familles présentant un "bon profil", c'est à dire avec un potentiel leur permettant rapidement de s'élever dans les tranches élevées du seuil d'admission dans un logement social. Cet effet d'aubaine lié à la chasse aux meilleurs logements sociaux a été décrit dans de nombreux rapports officiels (cf. cet extrait de mon ouvrage). L'augmentation des prix du logement privé résultant de la subvention renforcerait la compétition pour le logement social de la part des ménages de classe moyenne supérieure, condamnant les familles les moins chanceuses aux taudis, aux cités à problèmes ou au logement de fortune.
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2. Proposition : "Rendre par ailleurs obligatoire l’inscription d’une réserve foncière destinée à la production de logements à loyer accessible dans tous les PLU"
Ici, la Fondation, tout en reconnaissant que le problème de la raréfaction foncière joue également pour le logement social, adopte la doxa bureaucratique du ministère du logement, en encourageant une mesure à la fois inique du point de vue de la morale et de nature à renforcer la pénurie foncière pour le logement privé.
La fondation constate que le différentiel de prix entre terrain constructible et terrain non constructible est élevée, sans se demander pourquoi. Elle propose donc que les bailleurs sociaux aient un accès privilégié à la rare ressource foncière constructible, et, pire encore, que des réserves foncières soient constituées par l'achat de terrains non constructibles dont la constructibilité serait rétablie ultérieurement pour des opérations de logement social. C'est ni plus ni moins que du vol, commis au détriment des propriétaires à qui les terrains sont achetés, quand ils ne sont pas expropriés...
Le législateur local, avec l'appui des ayatollahs anti-étalement urbain des ministères verts, ayant tendance à vouloir limiter les ouvertures totales à la construction, pour des raisons parfaitement stupides et condamnables par ailleurs, mais sur lesquelles je ne reviendrai pas ici, une telle mesure revient à réduire le foncier mobilisable pour le logement privé à la portion congrue, ce qui fera encore monter les prix du marché pseudo-libre, ce qui... augmentera la demande politique pour du logement social.
Dans ses autres propositions, la fondation demande, sans jamais se demander qui peut payer, "plus de logement social", "plus de conventionnement", "plus de captation de logements vacants", ... Comme si l'état et les collectivités avaient encore les moyens de financer les coûts directs ou fiscaux de telles mesures ! Le logement social, et plus généralement l'aide dite à la pierre, est un mécanisme pervers qui, couplé à la rareté du sol, tend à creuser le différentiel de prix entre offre privée et offre subventionnée, ce qui engendre forcément, pour cette dernière, une demande très supérieure à l'offre: le logement social est auto-générateur de sa propre pénurie.
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3. Proposition: "Encadrer les loyers de relocation en calant les augmentations sur les évolutions de l’Indice de référence des loyers (IRL)". p.219
Autrement dit, la fondation propose de renforcer le contrôle des loyers en vigueur, qui stipule déjà un encadrement du loyer pendant le bail, en limitant toute possibilité de réajustement à la hausse du loyer entre deux locataires.
Dans mon ouvrage, je montre que l'indice de réévaluation retenu entre 1982 et 2005 (indice du coût de la construction) a augmenté moins vite que l'inflation entre 1960 et 2000, ce qui, évidemment, a conduit les propriétaires corsetés par les lois Quillot (1982) puis Mermaz-Malandain (1989) à utiliser la fenêtre "de tir" offerte par le changement de locataire à réévaluer leur loyer.
L'indice actuel est plus proche de l'inflation et ne devrait donc pas, dans le contexte actuel, susciter de tels réajustements... Sauf résurgence d'une bulle immobilière déconnectée de l'inflation telle que celle que nous avons connu entre 1997 et 2007. La question est de savoir si l'imposition d'une telle limitation n'aura pas des effets pervers. Comme pour tout contrôle des loyers, elle porte en germe le moindre appétit des investisseurs pour l'investissement locatif.
J'ai déjà évoqué les ravages sur le parc de logements qu'un contrôle des loyers "extrêmiste" (prix totalement administrés) avait engendré sur le logement français entre 1913 et 1948, y compris en temps de paix. L'ancien président du comité Nobel d'économie, le suédois Assar Lindbeck, avait déclaré, au vu de cette expérience, qu'il existait deux moyens de raser une ville, les bombes et le contrôle des loyers.
Les effets des contrôles "évolutionnels" tels qu'ils existent aujourd'hui, et dont le renforcement est proposé par la fondation, même s'ils sont moins dramatiques que la version dure des anciens contrôles, n'en sont pas moins documentés. Voici la réaction du marché immobilier français et parisien dans les années qui sont suivi la mise en place des lois Quillot de 1982. La reprise constatée en 1988-89 correspond à la réaction du marché à leur abrogation par Pierre Méhaignerie en 1987:
Précisons,
en toute honnêteté, qu'il est difficile d'isoler dans cette chute de
l'investissement ce qui relevait des contrôles "Quillot" et ce
qui était imputable à toutes les autres mesures ahurissantes et
économiquement sans précédent (et espérons sans suivant !) prises par
le gouvernement très à gauche du duo Mitterrand-Mauroy.
Toute
limitation arbitraire du prix entraine une limitation de l'intérêt des
offreurs. Plutôt que de chercher à limiter l'appétit de bailleurs
placés en position de force par la rareté relative de l'offre, la
Fondation devrait se demander si libérer les freins fonciers,
réglementaires et fiscaux à la création d'offre supplémentaire ne
constituerait pas une meilleure voie.
Hélas, la Fondation persiste dans l'erreur anti-bailleurs...
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Expusler un mauvais payeur n'est pas chose facile, sentimentalement parlant. Mais si la peine pour la famille ainsi mise à la rue peut nous interroger, la compassion pour les familles qui ne trouvent pas de logement parce qu'elles ne trouvent pas de toit à leur budget, et quand bien même elles le trouvent, ne peuvent pas présenter les garanties nécessaires pour rassurer le bailleur, devrait nous inspirer un sentiment plus fort.
Les chiffres les plus divers circulent. Mais sur les environ 2 Millions de logements de vacants recensés par l'INSEE, la fondation Héritage et Progrès estime qu'environ 600 000 sont des logements délibérément retirés du marché par des bailleurs échaudés par une mauvaise expérience locative, se traduisant par les pires difficultés pour récupérer leur logement, sans parler des impayés, qui préfèrent le léguer à leurs enfants ou attendre une occasion (déménagement, retraite, études des enfants) de venir l'occuper eux mêmes.
Sur-protéger le mauvais payeur ne peut que limiter l'offre locative privée (hors carottes fiscales, dont les effets délétères sont documentés ici et sont d'ailleurs évoqués par d'autres parties du rapport de la Fondation). Les dispositifs de "garantie publique du bailleur" consistant, comme le fait notre gouvernement, à transférer l'irresponsabilité d'un mauvais payeur sur une Garantie du Risque Locatif (GRL) assumée par le contribuable, ou, comme le demande la fondation, sur un "organisme social", risquent au contraire d'accroître la tension sur le contribuable, bailleurs peu scrupuleux et locataires "astucieux" s'entendant pour faire payer la note à un tiers.
Et si subventionner le parasitisme pourra peut-être réduire les freins à la location, cela ne provoquera pas une embellie sur le front de l'offre nouvelle: les bailleurs ne sauront que trop bien que cette garantie publique est aussi fragile qu'un avantage fiscal octroyé à l'assurance-vie ou une subvention aux éoliennes. Aux premiers signes de tensions budgétaires sur la garantie publique, l'état la diminuera ou l'abandonnera, laissant les propriétaires mal orientés par de mauvaises incitations avec des mauvais payeurs congénitaux dans les murs.
Les très sociaux démocrates économistes Tim Smith (Canada) et Etienne Wasmer (France), osent affirmer qu'au Canada, la certitude, pour un bailleur, de récupérer sous 30 jours un logement dont le locataire fait défaut, même en plein hiver (et au Canada, l'hiver, c'est autre chose que chez nous), fait qu'il n'y a aucune rétention de logements motivée par la peur, et que l'offre locative reste suffisante pour loger toutes les familles, le nombre de SDF restant marginal (moins d'une trentaine de familles dans une ville comme Montréal !). Ce jugement doit être nuancé par le fait que quelques villes canadiennes, comme Vancouver, dont les réglementations foncières n'ont rien à envier à celles de la Californie, connaissent tout récemment une bulle immobilière sans précédent, ce qui ne doit pas arranger les affaires des familles modestes. Mais Wassmer et Smith ont raison de pointer du doigt les conséquences perverses de la sur-protection du locataire français à travers le contre-exemple Canadien.
Par nature, l'investissement locatif devrait être un placement peu rentable mais régulier et sans grand risque. Or, la législation en a fait un placement très peu rentable (pourquoi croyez vous que les grands institutionnels aient voulu revendre massivement leurs patrimoine "à la découpe" dans les années de bulle ?) et très risqué ! C'est à cette anomalie qu'il faut s'attaquer.
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La fondation fait fausse route
Il y aurait encore beaucoup à dire sur les autres propositions de la fondation. Mais toutes vont dans le même sens. Ces propositions ne sont finalement qu'une version durcie du plan "Boutin" éreinté dans ces colonnes, qui lui même se démarquait fort peu des plans Borloo, Gayssot, et tous les docteur Knock qui se sont penchés au chevet du logement... L'intervention étatiste ne marche pas ? Il faut la renforcer.
Si la fondation Abbé Pierre faisait preuve de lucidité, elle se rendrait compte que ce qu'elle propose n'est qu'un renforcement des principes politiques déjà en vigueur depuis l'hiver 1954, et elle devrait donc se demander pourquoi ces politiques n'ont jamais réellement permis de venir à jour des problèmes de manque de logement de qualité.
En outre, elles nous ont légué plus de 1000 quartiers et banlieues "difficiles" dont les instabilités sont devenues l'une des principales difficultés que doit affronter la cohésion républicaine. Cette explosion des banlieues difficiles est une matérialisation particulièrement malheureuse de la "loi des conséquences inattendues" bien connue de tous les économistes, qui stipule que le législateur est parfaitement incapable de prévoir à terme croissant les effets collatéraux pervers que ses interventions, mêmes conçues avec les meilleures intentions du monde, vont produire.
Au risque de passer pour le pire des sans-coeur, il faut oser dire que l'action de l'abbé Pierre, quelle que soit l'altruisme et l'abnégation dont il ait fait preuve, n'a pas produit les effets bénéfiques escomptés, parce qu'il en a toujours appelé à plus d'état, plus de logement social, plus de protection législative d'une partie prenante de l'échange au détriment de l'autre, et aujourd'hui ses successeurs se fourvoient avec la loi DALO.
Si la Fondation Abbé Pierre veut réellement aider les familles défavorisée, elle doit abandonner le culte de l'étatisme qui semble l'habiter, et oser les solutions libérales pour venir à bout de la crise du logement.
Quelles solutions au mal-logement ?
Plutôt que de m'auto-citer une énième fois (mais vous pouvez toujours relire cet ancien article résumant les propositions de mon ouvrage), je vais laisser le soin à Ed Glaeser, sans doute le plus grand des économistes de la ville aujourd'hui, la définition des grands principes qu'il conviendrait d'adopter pour en finir avec la détresse du logement, en traduisant un extrait de cet article qu'il a signé dans le New York Times:
Le premier problème, à savoir la pénurie de logement pour les pauvres, est mieux résolu par un chèque logement, pas par des programmes fiscaux destinés à stimuler la construction de logement bon marché. Subventionner les promoteurs pour construire des logements neufs pour les pauvres est aussi insensé que de payer les constructeurs d'automobiles pour qu'ils créent une ligne de véhicules spécialement dédiés aux pauvres. Notre système actuel, ou les pauvres achètent en général des voitures d'occasion, est bien plus efficient pour leur procurer un moyen de transport accessible. Les chèques logement (NdVB. aides à l'individu) permettent aux défavorisés de vivre dans des logements anciens ce qui est bien meilleur marché que de leur construire des logements neufs.
(...)
Les prix sont bien au dessus des coûts de construction parce que la demande robuste, alimentée par un crédit abondant, s'est fracassée contre les barrières placées devant l'offre (...) Dans un marché où l'offre est sous contrainte forte, les subventions aux crédits ne font que pousser les prix à la hausse, et rendent le logement moins accessible, et non l'inverse. Le seul moyen d'aboutir à une accessibilité très large du logement est de construire plus, ce qui suppose de faire sauter les règlementations visant à protéger la tranquillité des propriétaires immobiliers existants.
Ce sont là deux des quatre propositions principales que j'évoque dans mon livre. La libération foncière, replaçant la décision de construire d'abord aux mains du propriétaire de terrain, et le chèque logement inversement proportionnel aux revenus, visant à remplacer pour bien moins cher tous les dispositifs actuels "d'aide" au logement public comme privé, ainsi que le retour à un équilibre législatif contractuel simple entre locataires et bailleurs, sont les conditions sine qua non du retour à un marché du logement fonctionnel visant à produire le résultat auquel il aboutit toujours quand les états ne l'empêchent pas de fonctionner, à savoir permettre une rencontre fructueuse entre une demande et une offre.
Dans un tel contexte, les cas de demande totalement insolvable - ce que nos étatistes appellent "les imperfections du marché" - seraient assez rares, et dans un environnement d'abondance foncière, le coût de leur traitement par des solutions d'urgence, publiques ou caritatives, serait parfaitement supportable par la collectivité, et ce sans produire d'effets pervers par trop perceptibles.
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Pour en lire davantage:
- dossier logement de ce blog
- Logement, Christine Boutin fait fausse route
- Réglementation foncière, crise du logement: problèmes et solutions
- Loi DALO, malfaisance démagogique
- Le logement social est il social ?
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