A l'heure de l'immédiateté de la pensée et de la Réaction, bien trop souvent sans réflexion, mais faite pour mieux asservir mentalement les masses qui les ont élus, un bel hommage de Daniel Mermet à l'endroit de Daniel Bensaïd, membre historique de la Ligue Communiste Révolutionnaire et de la Quatrième Internationale.
Daniel Bensaïd nous a quitté mardi 12
janvier
Hommage de Là-bas à Daniel Bensaïd.
Dimanche 24 janvier 2010 à la
Mutualité à Paris un hommage était rendu à Daniel Bensaïd.
Une girafe dans un champs de mulots
Une girafe dans un champ de mulots. Voilà comment on peut représenter Daniel Bensaïd dans le paysage intellectuel d'aujourd'hui.
Moi, c’est Télérama. À la mort de Daniel Bensaïd, Télérama a titré « Une pensée s’éteint ». Le lendemain sur leur site, ils ont rectifié, c’est devenu « Un penseur s’éteint ».
Mais rassurez-vous, cher Télérama, le
penseur et la pensée sont restés allumés. Vous avez pris vos rêves pour des
réalités. Sachez-le, la lutte continue !
Ah, bien sûr, les vieux
soixante-huitards en chaise roulante continueront longtemps encore à se battre à
coup de canne à propos de Kronstadt et des amours de Frida et Léon dans la
maison bleue accrochée à la colline. Mais la lutte continue, elle se mobilise
pour les Conti ou les Goodyear, elle lutte contre la privatisation de la Poste
et contre la Pwofitassion, elle se bat pour ce qu’il appelait
« l’éco-communisme ». Bensaïd voulait assurer la suite de l’histoire, il n’était
pas du genre à mettre des enclumes dans les poches des enfants.
Et pour ça, j’avoue que je me suis un
peu servi de lui en l’invitant à la radio. Pour dire, voyez, notre génération
c’est pas que des renégats, pas que des publicitaires libertaires, pas que des
épaves social-démocrate...Pas que ceux qui ont propagé la théologie de
l’impuissance et du renoncement et qui ont installé la peur au cœur même du
système social. Ceux qui nous ont persuadé que nous ne pouvons rien sur notre
devenir, et -encore mieux- qui nous ont fait croire que toutes les luttes ont
été vaines, quand elles n’ont pas conduit au goulag.
C’est ça l’irrésistible dont parlait
Bensaïd. Résister à l’irrésistible, c’est résister à cette résignation c’est
résister à ce détachement cynique qui justifie les inégalités, l’appropriation
privée, la sauvagerie des rapports sociaux.
En fait Bensaïd n’avait jamais perdu la
boussole de sa jeunesse. Le mot communisme par exemple. Il s’est cassé les reins
à débarasser ce mot de toutes les casseroles pleines de gravats que l’histoire
lui a accrochés dans le dos. Et Marx ? Marx revendiqué par Jacques Attali, Alain
Minc et Joseph Staline...Comment débarrasser Marx de son manteau de plomb ?
Bensaïd a passé sa vie à nous dire que
c’est par là que se trouvent les outils, les leviers et les munitions pour tous
ceux qui n’ont pas renoncé à faire le pari de l’émancipation humaine.
Pour Bensaïd, cette émancipation n’est
pas un pari, c’est une évidence. Cette émancipation vient du bas. On ne fait pas
le bonheur des peuples malgré eux. Même si on est du côté de l’opprimé, et
surtout si on est du côté de l’opprimé...Il revenait souvent sur « l’auto
émancipation ».
Sa boussole lui venait de ce bistrot
toulousain où sa mère chantait « Le temps des cerises » et, où son père, dans le
tiroir du comptoir, rangeait son étoile jaune, souvenir de Drancy.
C’est de là que lui venait ce dur désir
d’égalité.
Sauf que l’égalité, nous ne la désirons
qu’avec nos maîtres. Évidemment les maîtres et les dominants sont beaucoup moins
enclins à l’égalité et au partage. Il faut parfois leur tirer un peu l’oreille
et même leur tirer un peu dessus.
Car comme disait les Motivés « Il n’y a
pas d’arrangement ».
Ou bien tu luttes contre les abus du
capitalisme en disant « un autre capitalisme est possible « ou bien tu cherches
les voies et les moyens pour le renverser...
Non, la pensée n’est pas éteinte et le
penseur non plus.
Comme disait Bensaïd, « Au moins pour
s’épargner la honte de ne pas avoir essayé »,
La lutte continue !
Daniel Mermet
24 janvier 2010