Une étude récente du Pew Research Center pointe du doigt l’affaiblissement considérable de l’enthousiasme pour la démocratie et l’économie de marché surtout dans les pays pauvres d’Europe de l’Est, dont la Moldavie fait bien évidemment partie. Et pourtant la « constitution de la liberté » tant politique qu’économique devrait être aujourd’hui la principale aspiration du peuple moldave qui durant plusieurs décennies s’est retrouvé sans droits et pouvoir de contrôle.
Cette déception façe à la médiocrité des performances économiques réalisées depuis près de deux décennies (« transition fatigue »), n’est elle pas plutôt liée à une vague de libéralisation sans la mise en place des institutions clefs du marché : état de droit, garantie des droits de propriété et des contrats, climat favorable aux affaires? D’autant que le retour des communistes au pouvoir de 2001 à 2009 n’a fait que replonger le pays dans l’obscurité puisque les libertés civiles y ont connu une nette dégradation.
Aujourd’hui, les difficultés économiques et sociales du pays ont poussé ses dirigeants pro-occidentaux, fraîchement élus à se tourner vers l’extérieur pour trouver des exemples de meilleure réussite. La nouvelle gouvernance politique s’est, en effet, engagée dans un programme qui reprend les modèles existants de réformes de l’Ouest. Ce sont des mesures basées sur des critères ayant bien fonctionné ailleurs. Mais ces changements sont imposés d’en haut de manière coupée de la réalité du terrain.
C’est la raison pour laquelle les réformes quantitatives annoncées par la nouvelle élite politique risquent d’échouer, comme ça a toujours été le cas en Moldavie. Si l’on prend en compte trois éléments-clefs de la nouvelle donne, à savoir (1) l’absence des institutions complémentaires, (2) l’importance des perdants aux réformes, et enfin (3) la préférence de la population moldave pour une sécurité politico-économique (au dépens donc de changements structurels coûteux à court terme mais source d’opportunités de profit et prospérité à long terme), il apparaît que les réformateurs risquent de revoir leur plan d’action...
Le premier élément concerne la caractéristique des réformes envisagées en Moldavie. Elles sont, en fait, conçues par des gens qui ont constaté que la prospérité vient des forces du marché mais qui ne comprennent pas forcément comment fonctionne le libre marché. Par conséquent, elles ont de grandes chances d’échouer. La préoccupation centrale des politiques devrait être d’envisager ce qui pourrait être fait pour que les institutions qui sont les nôtres soient vraiment des institutions d’état de droit.
La notion de complémentarité institutionnelle est ici centrale pour mettre en évidence les erreurs propres à l’obsession des modèles. La réalité sociale est traversée par diverses institutions allant des moins formelles aux règles de droit. Avancer vers l’état de droit passe donc par des réformes bien plus larges des institutions où l’État a un rôle important à jouer, notamment en tant que garant des droits individuels et de la propriété. Le développement économique dépend en effet du respect des droits individuels. C’est la liberté dans l’état de droit qui permet la prospérité.
Le deuxième élément est commun à toute évolution d’une économie planifiée vers la compétition qu’implique le marché. Elle entraîne un changement progressif des règles du jeu qui, pour bien fonctionner, devraient être partagées par une majorité de la population. Or, ce changement va induire des perdants parmi ceux qui profitent du système actuel qu’il faut identifier et compenser pour qu’ils aient intérêt à tenter la réforme.
Le troisième élément, à savoir la préférence de la population autochtone pour la sécurité et donc le refus de s’adapter aux nouvelles règles pourrait bien bloquer les aspirations libérales du Gouvernement. En effet, la perception des bénéfices potentiels n’est pas du tout évidente, du fait de l’absence d’une tradition entrepreneuriale. On préfère la sécurité à la liberté.
La stratégie choisie est loin de répondre aux besoins réels du pays. En fait, la nouvelle élite préfère procéder d’une manière artificielle en se basant sur des emprunts du FMI, de la Chine et même de la Russie, ce qui détourne l’attention de l’absence d’une mise en œuvre de mesures structurelles plus efficaces. En effet, ces deux derniers pays se sont proposés d’être les « créditeurs en dernier ressort » de la Moldavie, avec 1 milliard de dollars US venant de la Chine et 500 millions du côté russe. Rien que le crédit chinois suffit à couvrir deux ans de déficits du compte courant moldave...
Le plus inquiétant est la désincitation qui en résulte pour les politiques moldaves à mener des réformes structurelles profondes avec l’implication importante des acteurs locaux. Faut-il rappeler la corrélation positive qui a été trouvée dans les pays Africains entre les aides financières et la corruption sans que cela entraîne une quelconque croissance? Cela décourage donc l’initiative privée, accroit la dépendance vis-à-vis de l’extérieur et encourage la corruption. À cela s’ajouterait pour l’emprunt moldave au moins un triplement de la dette souveraine du pays.
Imiter les politiques publiques occidentales sans le soubassement institutionnel adéquat n’est pas toujours une bonne idée et ce n’est certainement pas le meilleur moyen de créer des opportunités et la prospérité.
Rustam Romaniuc est un économiste moldave.