Attention, ça cogne, ça remue, ça fait mal, ça ouvre les yeux, ça ne vous lâche plus, ça vous poursuit, ça vous hante, ça vous hurle dans l'oreille, ça vous noue l'estomac, ça creuse une boule et ça vous donne à réfléchir.
Jenna, quinze ans, est la miraculée d'un accident de voiture qui a coûté la vie de sa mère.
Jenna se sent coupable.
Elle tente de se rappeler les dernières minutes avant le crash, mais tout reste blanc. Fermé aux souvenirs.
Et puis il y a le bleu. La couleur de l'entre-deux, du coma, du bonheur illusoire, du soulagement par les médicaments.
Après le bleu, c'est le vif : la réalité avec l'absence, le manque, le remords, la douleur, la solitude.
C'est un roman que je trouve extrêmement difficile à évoquer. Un roman complexe, douloureux et qui raconte justement le désespoir d'une adolescente qui tente de vivre suite au décès de sa mère dans des circonstances dramatiques. Le roman est à la fois poétique, onirique, amer, désabusé, à l'image de sa narratrice qui va aller jusqu'au bout de sa souffrance. Quitte à prendre tous les risques.
Le roman est vraiment tout le contraire de ce qu'on pourrait s'attendre : des larmes, des regrets profonds, quelques bêtises pour prouver qu'on existe, puis le retour à la vie, retour à la normalité. Dans le fond, c'est vrai que ça se passe comme ça, mais c'est un roman signé Joyce Carol Oates, il ne faudrait pas se leurrer non plus. Le roman est tout sauf condescendant, mielleux, attendu, moralisateur. Il vous impose le malaise, la déroute, l'errance. Il introduit des personnages à la dérive, cabossés. Des marginaux qui n'ont parfois plus rien à perdre et qui ont déjà tant brûler leurs ailes. J'en ai des frissons dans le dos, c'est âpre, violent, sans équivoque.
Cela fait très mal à lire, c'est même lourd à encaisser et je suis sortie de cette lecture toute retournée.
Pourtant j'estime que c'est un livre nécessaire, parce qu'il n'épargne nullement aucun détail, sur l'adolescence, sur l'acceptation de soi, sur le chagrin, sur le deuil aussi, sur la culpabilité, sur les choix extrêmes et sur la pression constante, souvent bienveillante, qui parfois fait plus de tort que la plus grande indifférence.
C'est un texte qui vous laisse le coeur à vif, qui interpelle et ne vous quitte plus. C'est bon aussi d'être secouée dans sa lecture, de se sentir en vie après une telle claque.
Car, finalement, on trouve aussi de jolies choses dans ce roman, pas seulement des émotions qui mettent à plat, il y a également beaucoup d'authenticité, de la sensibilité (et non de la sensiblerie), des personnages tendres et généreux.
En extrait, ce passage qui résume très bien le message que tente de transmettre le roman : Quand les gens entrent dans ta vie, il y a toujours une raison, vois-tu. Ils ne la connaissent peut-être pas eux-mêmes. Tu ne la connais peut-être pas toi-même. N'empêche qu'il y a une raison. Forcément.
Un endroit où se cacher ~ Joyce Carol Oates
Albin Michel, coll. Wiz, 2010 - 300 pages - 13,50€
traduit de l'anglais (USA) par Dorothée Zümstein
titre vo : After the Wreck, I Picked Myself Up, Spread My Wings, and Flew Away