Du Moyen Âge à nos jours, Catherine de SILGUY explore le contenu de nos poubelles et s’évertue à tracer l’évolution progressive de l’attitude des hommes à leur égard.
De la rue en terre battue où il ne faisait pas bon se promener en son milieu au risque soit de prendre sur la tête un seau d’aisance vidé par une fenêtre avec ferveur et sans quasi crier gare par quelque matrone en mal de ménage matinal, soit de patauger dans une rigole malodorante, gluante et glissante que seules les pluies intenses parvenaient à nettoyer quelque peu (mais longer les façades n’était pas pour autant dénué de risques, car n’importe quelle carriole pouvait largement vous éclabousser en roulant dans ce ruisseau continu de merde !), en trottoirs d’aujourd’hui encombrés de bacs roulants de toutes les couleurs dans lesquels les moins avisés (voire les moins civilisés) peinent parfois à déterminer avec certitude laquelle doit recevoir quel type de produit, elle nous fait faire un séjour salutaire au pays de la récupération, du recyclage, de la valorisation.
Certes les initiés n’y trouveront qu’un compte réduit, car le sujet reste convenu et circonscrit à des sentiers déjà largement battus pour qui s’y intéresse de près, mais le néophyte y trouvera une bonne synthèse d’une évolution dont le Préfet Poubelle reste une icône.
Certes également, l’auteur ne résiste pas à vanter l’actuel politiquement correct qu’est le recyclage à tout prix. Mais elle a au moins l’honnêteté de laisser transpirer de son propos que le « Bilan Vert » qui devrait être fait en prenant l’ensemble des composantes des différents processus menant à la valorisation matière et au recyclage de certains produits, pourrait ne pas apparaître si évidemment positif. Que dire, en effet, de ces plastiques issus de nos bacs de collectes sélectives qui finissent leur chemin en Chine sous forme de granulés avant de nous revenir sous forme de « polaires » ! Pas sûr que le fameux « Bilan » soit si écologique qu’on voudrait bien nous le faire admettre.
Certes, son cursus professionnel au sein de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) ainsi que sa formation d’Agronome, sont autant d’expériences qui ont peut être tendance à lui laisser voir la valorisation agronomique de nos déchets comme une voie royale alors qu’il est constant, au cours des cinquante dernières années, que la part de l’organique ne cesse de diminuer au fond de nos poubelles. Ce qui ne veut pas dire que son propos soit dénué de bon sens, au contraire : retourner à la terre ce qui en vient est une bonne chose. Sauf que ramener dans les îles, un terreau produit à partir des peaux de banane consommées à Paris, doit légitimement mener à une interrogation. Ce retour à la terre se fait-il à l’endroit où celle-ci en a le plus besoin ?
Certes, elle a peut être un peu tendance à s’emballer avec tout le monde devant les procédés dits « nouveaux » en vouant aux gémonies la perfide incinération source de tous les maux, et certainement aussi de pas mal de fantasmes maintenant que des règles draconiennes régissent leur exploitation. Faut-il rappeler (ce qu’elle ne fait pas ) que les émissions de ces fameuses dioxines par les foyers domestiques individuels alimentés au bois sont source de plus d’émissions, en France, que toutes les usines d’incinération d’aujourd’hui réunies ? On peut simplement regretter qu’elle n’énonce pas la complémentarité de toutes les filières aujourd’hui disponibles comme étant la meilleure des solutions considérant que tous les volets sont nécessaires pour optimiser le résultat ! Y compris le stockage des déchets ultimes.
Dommage que, en plus, elle n’insiste pas avec plus de force sur le seul mode de traitement qui soit le plus efficace même s’il n’est pas celui que l’industrie du gaspillage préconise, bien au contraire ! Car le seul bon déchet dont le traitement soit garanti comme étant d’une totale innocuité à tous égards, c’est le déchet qui n’a pas été produit. C’est le suremballage qui n’a pas été utilisé. C’est le sac-poubelle qu’une tortue marine n’avalera pas en croyant faire un festin de méduses.
Le livre se termine sur un chapitre original qui fait la part belle à l’avenir artistique des déchets dont nombreux sont les promoteurs : depuis César et ses compressions en passant par des artistes plus anonymes qui soudent, collent, assemblent des produits hétéroclites pour leur donner une nouvelle vie toute symbolique. Certes, cette valorisation est originale et peut même sublimer quelques rebuts de nos vies de consommateurs parfois compulsifs, mais il faut bien reconnaître que cette valorisation restera, de toute façon, encore à cent lieux de la seule dimension du marginal.
Après ces périodes de fêtes terminées, ce livre ne peut que nous inciter à un peu de retenue, ce qui, déjà, sera un bien. Car lorsqu’on voit ce dont nos valeureux dirigeants de la planète ont été capables d’accoucher à Copenhague, il y a quand même intérêt à ce que le peuple d’en bas prenne les affaires en main et montre qu’il est moins nul que les pantins à qui nous avons donné les rênes du pouvoir.
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